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trop misérables. Les salaires varient de 1 Ir. 25 à 3 fr. 15 centimes par jour. Les vivres sont moins chers que dans les contrées plus riches et plus avancées, si l’on ne tient compte que de la quantité, car la qualité est fort médiocre. Un des traits caractéristiques de ce pays, c’est qu’une grande partie des hommes émigrent soit vers Constantinople, soit dans les provinces danubiennes, pour y chercher du travail ; il en résulte que les femmes sont en Epire infiniment plus nombreuses que les hommes, — elles forment près des deux tiers de la population. Il est remarquable que certains goûts littéraires et le sens des choses de l’esprit se soient maintenus jusqu’à nos jours dans cette contrée. Il existe à Janina une école supérieure qui tient du lycée français ou du gymnase allemand; c’est une fondation privée qui doit sa naissance à la munificence de quatre frères, lesquels ont laissé par testament 450,000 francs pour cette institution. L’on compte encore dans la même ville quatre écoles primaires, fréquentées par 600 enfans ; l’on y voit aussi deux écoles de filles, suivies par 200 élèves. Dans les autres villes, à Melzovo, Arta, Prevesa, l’on trouve des institutions du même genre, et quelquefois même dans de petits villages; mais il ne faut pas se dissimuler que ce sont là des œuvres qui ont plus d’apparence que d’efficacité. Les paysans n’apprécient guère et les ouvriers ne conservent pas longtemps cette instruction, d’ailleurs peu substantielle. Les populations sont sobres et économes, l’épargne leur est habituelle; il n’est pas rare de voir des artisans qui accumulent quelques milliers de francs. Malheureusement ce capital reste improductif, il demeure enfoui dans des cachettes, ou bien il prend la forme de bijoux et d’objets de luxe. Ainsi voilà un peuple doué des meilleures qualités et d’excellentes intentions, voilà une contrée admirablement placée à quelques lieues de Corfou, à quelques heures d’un des plus grands centres du commerce européen, Brindisi, et cependant ce pays reste stationnaire, ni la population ni la prospérité n’y augmentent; c’est que l’insécurité de toutes choses, c’est qu’une fiscalité implacable détournent de tout emploi productif les capitaux qui sont toujours prêts à se former.

En remontant un peu vers le nord, en Albanie, on rencontre d’autres causes de stagnation; les habitans sont toujours sous la crainte de démêlés avec le Monténégro, la plupart d’entre eux sont de plus engagés dans des hostilités de familles et esclaves des principes implacables de la vendetta. C’est le fusil sur le dos qu’un Albanais laboure, c’est avec des pistolets à la ceinture qu’un marchand vend ses denrées; les mendians eux-mêmes sont en armes. La Servie nous présente le spectacle d’une civilisation d’apparat et d’une prospérité tout officielle et tout extérieure. Ces vastes