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devenir une association factieuse. » Les codes romains conservent la mention de lois, de sénatus-consultes, de décrets impériaux, qui interdisaient ou limitaient le droit d’association. Les gouverneurs avaient ordre de faire exécuter rigoureusement ces lois dans les provinces; à Rome ceux qui osaient les violer étaient traduits devant la première autorité de la ville, le prœfectus urbi. La punition du coupable était terrible. « Quiconque, dit Ulpien, établit un collège illicite est passible des mêmes peines que ceux qui attaquent à main armée les lieux publics et les temples. » Il pouvait être, au choix des juges, décapité, jeté aux bêtes ou brûlé vivant.

Malgré la rigueur de ces menaces, elles furent tout à fait impuissantes. Il est remarquable que les collèges se soient beaucoup plus multipliés sous l’empire, où on les traitait si sévèrement, que sous la république, où on les laissait libres. Au moment même où le jurisconsulte Gaius, interprète de la doctrine officielle, disait : « il y a très peu de motifs pour lesquels on permette d’établir de ces associations, » elles remplissaient Rome, elles se glissaient dans les plus petites villes, elles pénétraient dans les camps d’où l’on tenait spécialement à les exclure, elles couvraient les plus riches provinces. Il n’est guère croyable que ces innombrables collèges dont les inscriptions de l’empire nous ont conservé le souvenir fussent tous munis d’une autorisation particulière, ainsi que le voulait la loi. Quelques-uns d’entre eux le disent et s’en vantent. Les négocians de Lyon, les pêcheurs et plongeurs du Tibre, les charpentiers de navires d’Ostie, ont grand soin de rappeler qu’un sénatus-consulte leur a permis de se réunir; mais l’empressement même qu’ils mettent à nous l’apprendre semble indiquer que c’était un privilège assez rare : ils n’auraient pas songé à s’en faire honneur, si tous les autres collèges en avaient joui comme eux. Il y avait donc à côté des associations permises beaucoup d’autres qui n’étaient que tolérées. L’autorité ne se décidait à faire usage des lois rigoureuses qui frappaient les sociétés illicites que dans les cas extraordinaires : on sait par exemple qu’on les appliqua sans pitié aux chrétiens; mais le plus souvent elle fermait les yeux et laissait faire. Avec le temps, elle finit même par permettre de bonne grâce ce qu’elle était impuissante à empêcher. L’empereur Alexandre Sévère se fit le protecteur déclaré de ces associations qui avaient, tant inquiété ses prédécesseurs. « Il donna, dit son biographe, une existence officielle à tous les collèges d’arts et de métiers, leur accorda des défenseurs et décréta devant quels juges ils devaient comparaître pour chaque délit.» Était-ce un acte de faiblesse ou un calcul de politique? n’y faut-il pas voir aussi un effet de cet adoucissement général des mœurs qui finissait par pénétrer dans la loi? Il y avait quelques années à peine que par une constitution célèbre Caracalla venait d’étendre