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mettrez de vous rappeler un jour que vous avez promis d’être mon ami.

— C’est fait déjà, mademoiselle, et, je le suis tellement que je voudrais que vous n’eussiez jamais besoin de mon amitié.

Ln capitaine de chasseurs, celui-là même auquel Madeleine avait donné un brin de houx, entra dans la soirée à l’heure où l’on prenait le thé. C’était un garçon taillé comme un chevreuil, avec des membres souples et fins, leste et vigoureux, le profil net, le regard vif, les sourcils mobiles, la physionomie hardie et remuante. — Eh! dit M. de Selligny, voici le capitaine Chaufer... Il y a quelque aventure sous roche !

— Il ne dépend que de vous d’en être... Toutefois, en l’absence du général que vous remplacez, il me faut une permission, et je viens vous la demander.

— Colonel! s’écria Mme de Fleuriaux, dites-lui de faire ce qu’il voudra, mais qu’il ne tue personne!... Prenez-vous du thé, capitaine ?

— Une tasse, volontiers, tout à l’heure.

Il entraîna M. de Selligny dans un angle du salon, pour lui parler à voix basse avec une singulière animation. — C’est vrai pourtant ce que me disait M. de La Vernelle ce matin, reprit Mme de Fleuriaux... Vos gestes eux-mêmes ont l’accent provençal, capitaine!

— Et mes coups de sabre donc! cria le capitaine Chaufer sans retourner la tête.

Il continua la conversation engagée avec la même ardeur et une profusion de gestes telle qu’il en dépensait en cinq minutes plus qu’un Flamand en un mois. M. de Selligny hochait la tête d’un air affirmatif. — Je gage que vous cédez?... s’écria M. de La Vénielle.

— Ma foi oui!... Prenez qui vous voudrez et faites ce que vous voudrez. Seulement ne poussez pas trop loin... Il y a ordre de ne point engager d’affaire sérieuse.

— Et y aura-t-il place pour les mobiles dans cette expédition, capitaine? demanda M. de La Vernelle.

— Rien pour les fantassins, commandant... Cependant, s’il vous plaît de voir comment se débrouillent les chasseurs du capitaine Chaufer, le Provençal vous invite.

Au soleil levant, étant à sa fenêtre, Madeleine vit passer le long du parc un escadron de chasseurs en tête duquel marchait le capitaine Chaufer. M. de La Vernelle chevauchait à côté de lui. Il faisait un ciel clair et gai; la lumière matinale riait dans la rosée, qui suspendait des saphirs et des émeraudes à toutes les branches des taillis : il y avait comme une poussière de pierreries sur les bruyères. Les chevaux piaffaient sur la route et semblaient impatiens de cou-