vu que tu allais au-devant du facteur... En province, le facteur c’est toute une affaire; il passe avant les grands parens.
— Oh! marraine!
— Je badine... Il n’y a rien pour moi, mignonne?
— Rien.
— Ni lettre, ni journaux? Et tu crois que nous pouvons vivre longtemps comme cela? La guerre dérange toutes les habitudes; vois, nous n’avons même plus de voisins, plus de réunions, plus de visites, plus rien!
— Vous songez donc encore à ces choses-Là, marraine?
— Voilà un mot qui n’est pas gentil, encore! Je n’ai pas l’âge du roi Priam cependant;... mais je te comprends et je te pardonne. Viens m’embrasser. Je ne puis pas te voir sans penser à ma pauvre sœur, ta mère, à qui tu ressembles tant.
La baronne attira sur le canapé Madeleine, qui se laissa faire. — Je sais à qui tu rêves, moi. Est-ce vrai?
— Je ne m’en défends pas.
— Oh ! je ne t’en fais pas un crime, au contraire! C’est un brave garçon; mais aussi pourquoi n’a-t-il pas pris le temps de t’épouser?
— La guerre venait d’être déclarée; il a couru au plus pressé.
— Et puis il savait bien que tu l’attendrais. Drôle de fille! plus sérieuse à vingt ans que moi à cinquante! que crains-tu?
— Que sais-je, tout! La maladie, une blessure,... la mort peut-être. Rappelez-vous qu’il était à Sedan... Et depuis six semaines point de nouvelles.
Madeleine passa le bout de ses doigts effilés sous ses paupières.
— Tu es folle! Est-ce qu’on meurt à l’âge de Paul !... Moi d’abord je n’aime pas à me faire du chagrin avant d’être bien sûre que l’heure d’en avoir est venue. Essuie tes yeux... Ton Paul tombera ici un matin comme une bombe.
Un garde poussa la porte : — Qu’est-ce encore? dit la baronne.
— Madame, il y a là quelqu’un qui demande à parler à M. le comte.
— Mon gendre? qui ça, quelqu’un?
Madeleine releva vivement la tête. — Il paraît, madame, que c’est un régiment, reprit le garde.
— Qu’est-ce que vous dites-là? On n’a jamais ouï parler d’un régiment à Villeberquier. D’où viendrait-il, ce régiment?
— Je ne sais pas... On dit comme ça qu’il faudra le loger.
Deux petites filles qui se poussaient entrèrent comme un tourbillon. — Bonne maman, cria la plus grande, venez voir! Il y a un officier à cheval! — Et l’autre, l’interrompant :
— Et derrière lui des soldats qui ont des fusils. Il y en a jusqu’au bout de la route. C’est fort beau... Tout le monde court!