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L’ALERTE
ÉPISODE DE L’INVASION

Il pleuvait. De grandes nuées grises couraient dans le ciel, le vent secouait les arbres et en arrachait les feuilles jaunies; poussée par la rafale, la pluie battait les vitres. La baronne de Fleuriaux, assise au coin de la cheminée, tournait et retournait les pages d’un livre qu’elle ne regardait pas; son attitude renversée exprimait un ennui incommensurable, et par intervalles, lasse de fatiguer le volume inutile qu’elle feuilletait, elle plongeait une main distraite dans une vaste corbeille à ouvrage où elle laissait bientôt retomber les pelotons de laine, le canevas et les bobines un instant remués. Non loin, debout contre la fenêtre, une jeune fille un peu pâle, svelte, qui paraissait avoir une vingtaine d’années, suivait dans une profonde immobilité le vol d’une bande d’oiseaux voyageurs dont les longues files s’enfonçaient dans la brume. — Est-ce qu’il pleut toujours, Madeleine? demanda la baronne sans retourner la tête.

— Toujours, ma chère marraine, toujours.

Un bruit sourd roula dans l’espace, Madeleine frissonna. — Est-ce que ce n’est pas encore le canon, dis? reprit la baronne.

— Hélas ! oui, c’est le canon.

— Tout s’en mêle, la bataille et la pluie! Tu verras que je ne pourrai même pas faire mon tour de parc... Tu me répondras que le parc s’en passera aisément;... mais moi!

Deux coups sonnèrent au clocher de l’église. — Comment, deux heures seulement! N’as-tu pas remarqué que les jours sont beaucoup plus longs cette année que l’an dernier? ils ne finissent pas. Sais-tu pourquoi?

— C’est que l’an dernier, à pareille époque, vous vous promeniez au bois de Boulogne.