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son côté l’intolérance du gouvernement dans ses relations avec les protestans. Depuis la création du conseil ecclésiastique supérieur, l’église évangélique a perdu en Prusse toute liberté; elle ne relève que du roi, qui la gouverne sans recours. Aujourd’hui le parti clérical et le parti conservateur ne semblent pas sur le point de rompre leur alliance : dernièrement encore la Nouvelle Gazette prussienne, organe du parti qui entoure le roi, proposait sans détours « une action commune des conservateurs et des catholiques pour l’édification de l’empire allemand. »

Sur ce terrain cependant, et pour habile qu’elle soit, la pensée qui veille et dirige à Rome pourrait bien faire fausse route. Les conseillers du Vatican n’apprécient pas à leur véritable valeur les causes d’ordre moral qui ont produit la cohésion des divers états germaniques. Les révérends pères commettent une grande erreur psychologique en méprisant la puissance des liens intellectuels qui rattachent les Allemands du sud à ceux du nord. Ils montrent par là combien ils sont profondément étrangers à la culture de l’Allemagne savante : leur dédain ou leur aveuglement va si loin, qu’ils ont placé à la tête de leurs maisons allemandes un Français, le provincial Faller, aussi ignorant de la langue que du mouvement intellectuel des populations germaniques. Adonnée à l’étude des passions vulgaires de la nature humaine, leur école n’a jamais tenu compte, dans l’histoire des peuples européens, de la force motrice des idées nobles; ils n’aperçoivent ni ne comprennent, par exemple, ce fait considérable, qu’à toutes les époques les universités ont été le grand facteur du progrès en Allemagne, et que de nos jours encore elles apportent pour l’unification des nationalités locales un lien plus étroitement serré que tous les traités diplomatiques.

Ensuite ne se trompe-t-on pas encore à Rome quant à l’influence finale que pourra exercer sur l’issue du mouvement engagé le protestantisme lui-même? Si l’orthodoxie protestante est en effet toute préparée pour la fusion conservatrice avec l’orthodoxie romaine, cette église choisie aura-t-elle bien le dernier mot dans le traité à intervenir? Sans doute, jusqu’à ce jour, la Prusse et les divers gouvernemens d’Allemagne ont continué à s’appuyer sur l’organisme que présente le clergé catholique, dont la solidité a été éprouvée par les siècles. Livrés à leur propre instinct, les gouvernemens ne sont assurément pas enclins à rompre avec Rome : une sympathie naturelle les porte à respecter l’autorité ecclésiastique; à leurs yeux, attaquer la hiérarchie de l’église, c’est déjà contester celle de l’état. Cependant depuis quelques mois, et à mesure que l’opposition religieuse prenait un caractère éminemment national, du nord au midi