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écrits dogmatiques comme hétérodoxes. Tout cela ne prouve-t-il pas qu’à la fin du VIIe siècle les évêques semblaient peu douter qu’un pape put faillir? L’église elle-même a ignoré pendant longtemps que saint Pierre eût légué à l’évêque de Rome, et au détriment de ses collègues, des prérogatives spéciales. Cela, semble-t-il, n’aurait été connu qu’assez tard, par les soins du pape Agathon. Ce pontife, désireux de conjurer les dangers qu’annonçait à la papauté la condamnation de son prédécesseur Honoré, conçut la pensée d’appliquer exclusivement à l’évêque de Rome les paroles du Christ qui servent aujourd’hui de base au dogme de l’infaillibilité : j’ai prié pour toi, etc. (saint Luc, XXII, 32). La conception de ce privilège n’a fait corps avec la doctrine qu’à la fin du XIIIe siècle : extraite des fausses décrétales d’Isidore, elle ne s’est développée qu’à l’aide d’incessantes falsifications. Elle a été condamnée solennellement par les conciles de Constance (1414), de Bâle (1433), et n’est parvenue à prendre racine que dans les contrées où l’inquisition à empêché la véritable tradition de se perpétuer. Cette idée de la primauté n’est en réalité qu’un ferment pris au sol de la ville éternelle, à la Rome païenne, un héritage de l’imperium des césars. Enfin le concile du Vatican n’a été ni libre ni véritablement œcuménique. Le nombre considérable des évêques opposans enlève à la doctrine de l’infaillibilité le caractère indispensable du consentement universel. Il ne suffit point pour la définition d’un dogme, ainsi que dans une assemblée politique, d’une majorité accidentelle ou obtenue par des moyens d’une probité discutable; il faut le consentement unanime et constant des chrétiens.

Les évêques allemands ainsi accusés d’hérésie ont aussitôt riposté, et non moins doctement, en opposant l’autorité de l’église. Ils ont rappelé à leurs adversaires l’aveu des théologiens allemands réunis en 1863, qui proclamaient solennellement que la théologie devait se soumettre à l’autorité; ce n’est pas le cas de se révolter quand cette autorité entre en fonctions. Lors même qu’au point de vue théologique on démontrerait l’inconsistance du dogme, il n’en subsisterait pas moins comme vérité catholique. Le dogme s’établit non pas par une procédure sur pièces historiques, mais par le concours créateur du Saint-Esprit, des évêques et du pape. Quelques théologiens qui ont raison ne sauraient l’emporter sur un concile et un pape qui ont tort. Au surplus il est trop tard, c’est au IXe siècle qu’il fallait protester, non aujourd’hui. Le dogme existe, et le chrétien n’a aucun moyen d’en analyser la naissance mystérieuse : la raison et la science ne sauraient prévaloir contre lui. Le fondement du catholicisme, c’est la soumission aveugle.

Là en effet est le côté délicat de l’argumentation des vieux catho-