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LE
MOUVEMENT RELIGIEUX
EN ALLEMAGNE


I.

L’Allemagne est depuis une année le théâtre d’une lutte religieuse dont les acteurs semblent devoir répéter, à trois siècles d’intervalle, le grand drame historique de la réformation. Une fraction de l’église catholique refuse de se soumettre au dogme formulé le 18 juillet 1870 par le concile du Vatican, et repousse au nom de la tradition chrétienne la doctrine de l’infaillibilité personnelle du pape : ce serait, au jugement de la presse libérale allemande, la continuation de l’œuvre de Luther. Cette assertion n’est pas strictement exacte. L’esprit d’opposition procède bien aujourd’hui, ainsi qu’au XVIe siècle, de la même antipathie des nations germaniques contre la domination de la vieille Rome ; mais de nos jours les classes populaires ne prennent point nettement, comme au XVIe siècle, parti pour les réformateurs. À cette époque en effet, le peuple et le bas clergé offrent au mouvement son premier appui, lui impriment sa force, et entraînent les puissances politiques, les villes souveraines, les princes et la noblesse. La ferveur religieuse n’est pas le seul élément de succès dans le schisme de Luther ; l’histoire y reconnaît des causes plus temporelles. Le protestant prenait assurément les armes pour venger la foi offensée à ses yeux par Rome ; mais il entrevoyait en outre, comme prix de la lutte, une liberté civile que lui refusait le despotisme religieux. Or aujourd’hui cet excitant politique, s’il existe, a perdu notablement de sa vivacité. Le paysan n’est plus serf de la glèbe ; il possède cette indépendance