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les deux gouvernemens de la république qui, à vingt-trois ans de distance, se seront entendus pour maintenir avec fermeté le droit sacré de la propriété. Pour nous, en racontant ce triste épisode de l’histoire contemporaine, nous n’avons pas consulté notre dévoùment personnel pour ces princes dont les destinées, quoi qu’on puisse dire, sont considérées par la grande majorité de la nation comme intimement liées à sa puissance, à sa prospérité, à son avenir; nous avons obéi à notre dévoûment pour la France. Nous avons accompli un devoir en faisant passer sous ses yeux ce tableau fidèle et peu connu où, dans un cadre restreint, apparaissent tous les ressorts et toutes les pratiques de cette politique à laquelle notre malheureuse patrie a dû les désastres qui l’ont accablée. Le récit de tant d’arbitraire mêlé de violence et de ruse ne peut que raffermir en elle

……. Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.


Et si nous ne les avons pas invoquées en vain au nom de l’odieuse confiscation de 1852 et des persécutions qui l’ont accompagnée, combien ne doit pas être plus énergique et plus irrésistible la réaction de ces haines salutaires contre cette confiscation mille fois plus odieuse de 1851, qui a porté la main sur les élus de la nation et sur la liberté elle-même!

La France a recouvré ce bien précieux : qu’elle ne le laisse plus confisquer par le césarisme, qui conspire déjà pour le ressaisir. Qu’elle se défie surtout des remèdes héroïques qui ont aggravé chaque fois le mal social au lieu de le guérir. Qu’elle se rappelle que la liberté réglée par les lois et loyalement pratiquée lui a déjà permis de réparer, avec un succès auquel on ne pouvait s’attendre, une partie des ruines immenses que l’empire nous a léguées. La liberté seule peut achever l’œuvre, si bien commencée, à laquelle M. Thiers a si patriotiquement consacré ses grandes facultés sous les auspices d’une assemblée souveraine, la plus indépendante, la plus libérale peut-être que la France ait jamais eue. Quel que soit le nom sous lequel la majorité du pays veuille la constituer, république ou monarchie constitutionnelle, sacrifions-lui nos ressentimens, nos anciennes divisions, nos préférences intimes, — car, sachons-le bien, le culte énergique et désintéressé de la liberté légale est la dernière voie de salut ouverte à la société, menacée par ces deux grands ennemis de l’ordre et de la dignité humaine, qui se tiennent, s’allient souvent et se succèdent toujours : le césarisme et la démagogie.


Cte DE MONTALIVET.