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L’ auteur du décret du 22 janvier insiste plusieurs fois sur ce qu’il appelle la règle fondamentale de la monarchie, les droits permanens de l’état, enfin les règles immuables du droit public. Nous résumerons tout à l’heure la réplique des exécuteurs testamentaires et des jurisconsultes; mais interrogeons d’abord l’histoire, voyons si elle confirme ces déclarations solennelles d’un droit public immuable : la réponse sera péremptoire sans qu’on soit obligé de remonter bien haut. Pour établir que le principe de la dévolution du domaine privé à l’état est applicable à Louis-Philippe, le dictateur du 2 décembre invoque les noms de Louis XVIII et de Charles X; il remonte même jusqu’à Henri IV. Le neveu du premier Napoléon oublie qu’outre ces divers règnes on peut en citer un autre qui ne passe pas pour avoir été étranger à la science des lois civiles et du droit public; c’était le règne d’un souverain ne relevant que de lui-même, parvenu au trône, non en vertu du droit légitime, mais par l’interruption même de ce droit, et portant, comme Louis-Philippe, le premier nom d’une dynastie nouvelle.

Que fit Napoléon Ier des règles immuables de la monarchie, fondement unique des décrets du 22 janvier? Le sénatus-consulte du 30 janvier 1810 va nous l’apprendre par l’article 48 de son titre III. On y lit : « Les biens immeubles et droits incorporels du domaine privé de l’empereur ne seront, en aucun temps et sous aucun prétexte, réunis de plein droit au domaine de l’état; la réunion ne peut s’opérer que par un sénatus-consulte. » Ainsi à tous les témoignages du passé il faut ajouter celui de Napoléon Ier, chef de dynastie comme Louis-Philippe. Ce souvenir était un obstacle; on fait taire l’histoire. La loi du 2 mars 1832, qui consacrait par le vote solennel des deux chambres le principe de la non-dévolution du domaine privé à l’état, était un autre obstacle : on fausse l’histoire dans un considérant qui dit que « la loi de 1832 a été dictée dans un intérêt privé par les entraînemens d’une politique de circonstance. » Quel était donc le ministre complaisant qu’on accusait ainsi de se prêter à une honteuse campagne parlementaire? Un des plus fermes, un des plus grands caractères de cette époque, Casimir Perier, un des hommes politiques qui se sont le moins préoccupés de plaire à la couronne ou à la foule. Quelles étaient ces chambres accusées de servilisme envers les intérêts privés de la royauté? C’était la chambre des pairs, patriotiquement résignée aux conséquences de la révolution de juillet, mais formée encore en grande majorité d’anciens pairs héréditaires et peu disposés dès lors à céder aux inspirations d’un dévoûment personnel à la monarchie de 1830; c’était la chambre des députés de 1832, devant qui n’avaient trouvé grâce ni les 18 millions de la liste civile proposés en 1830 par MM. Laffitte et Dupont (de l’Eure) et réduits par elle à 12, ni