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patriarche, qui ne manqua pas d’en user. C’était le bélier d’attaque avec lequel s’inaugurait la grande guerre. Ce compendium des principes sur l’incarnation, résumés en articles présentant en regard l’un de l’autre ce qu’il ne faut pas croire et ce qu’il faut croire, bien que rédigé par le plus habile théologien du siècle, était gros de tempêtes, et suscita bientôt dans l’église un déchirement presque égal à celui de l’hérésie qu’il était destiné à combattre. On vit même une moitié de la catholicité orientale l’anathématiser comme hérétique. C’est que Cyrille, pour éviter la pente qui conduisait à Paul de Samosate et à Photin par l’exagération de la nature humaine dans la personne du Christ, s’était jeté sur la pente opposée, qui conduisait à l’apollinarisme par l’exagération de sa nature divine. Il ne sut pas se tenir ferme entre les deux écueils, tant il est vrai, comme il l’écrivait lui-même à Nestorius quelques mois auparavant, que dans une question si délicate, si insondable même, « les intelligences les plus exercées ne font qu’entrevoir la lumière, tandis que tout est ténèbres et obscurité pour les autres. »

Le temps pressait, et, comme on pouvait tout craindre de l’appui de l’empereur et de la connivence de la cour, Célestin et son concile furent d’avis de frapper un coup prompt et décisif. Ils fixèrent à dix jours le délai dans lequel Nestorius serait sommé au nom du pape de rétracter sa doctrine, sous peine d’être déposé et excommunié ; le patriarche, vicaire de l’évêque de Rome, fut en outre chargé de l’exécution. L’importance que ce titre et cette mission donnaient à Cyrille exalta son orgueil, déjà fort grand, comme on a vu, et le fit sortir de toutes les bornes. Un historien ecclésiastique nous dit qu’il prit une mitre semblable à celle que portaient les pontifes romains, et se fit donner le titre de juge universel, dont ses successeurs, les évêques d’Alexandrie, se targuèrent souvent après lui. Quoi qu’il en soit de la réalité de ce fait, mentionné pour la première fois dans un compilateur grec du XIVe siècle, il indiquerait du moins l’accroissement d’autorité ou de prétentions que cette alliance étroite avec Rome leur avait donné en Orient. Cyrille, réunissant en toute hâte son concile provincial, lui soumit une lettre qui serait adressée à Nestorius en son nom et au nom de tous les évêques d’Égypte comme troisième et dernière monition. Cette lettre contenait un exposé de doctrine conforme aux premières lettres de Cyrille, et se terminait par le formulaire dont nous avons parlé. Le formulaire se composait de douze propositions, séparées en autant d’articles, extraites pour la plupart des livres de Nestorius, et que celui-ci était sommé de rétracter formellement et par écrit ; toutes étaient suivies d’un anathème, d’où leur vint le nom d’anathématismes. A la proposition hérétique était jointe la proposition orthodoxe qui la redressait, et que l’archevêque devait confesser.