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est entièrement personnelle à Louis-Napoléon. Nous ajouterons à notre démonstration certains faits moins connus qui témoignent de la réprobation presque unanime dont fut l’objet, même parmi ses amis les plus dévoues, la pensée de la violence préméditée contre les biens privés des héritiers de Louis-Philippe. Cette conspiration contre la propriété, complément du coup d’état, fut éventée dès les premiers jours par l’empressement qu’on mettait à l’accomplir. Le 3 décembre, le prince avait entretenu ses ministres du projet de placer sous le séquestre toute la fortune des princes d’Orléans; mais il trouva dans son conseil, et particulièrement chez M. de Morny, une résistance telle qu’il n’insista pas, et sembla même renoncer entièrement à son projet. « Combien, me dit un jour M. de Morny, combien je me reproche l’opposition que j’ai faite au séquestre le jour où le prince nous en a entretenus! Peut-être, hélas! suis-je ainsi la cause bien innocente du mal irrémédiable qui a bientôt succédé au moindre mal que j’avais réussi à empêcher. Peut-être le prince-président se serait-il contenté de ce séquestre; dans tous les cas, il n’aurait pas cherché d’autres conseillers trop disposés à seconder sa déplorable passion contre tout ce qui touche à la famille d’Orléans, et peut-être en aurons-nous triomphé avec le temps. » Le projet et l’échec du séquestre avaient plus ou moins transpiré dans l’intérieur de l’Élysée ; ceux qui connaissaient le mieux Louis-Napoléon ne s’y trompèrent pas, et certaines rumeurs répandues dans le public le mieux informé prirent assez de consistance une quinzaine de jours avant les décrets pour motiver d’actives démarches destinées à les prévenir. Pour ne parler que de celles personnellement connues de moi dans tous leurs détails, je dirai que des princesses de la famille impériale, que MM. de Morny, Flahaut, Fould, firent les plus vives instances pour détourner le prince-président d’une mesure qu’ils considéraient comme un malheur pour lui plus que pour les princes qui seraient dépouillés. Le général Excelmans, entre autres, loyal représentant du vieux bonapartisme, se leva de son lit de souffrances malgré les médecins qui affirmaient qu’il y allait de sa vie, et vint supplier Louis-Napoléon de renoncer à tout acte violent envers les princes d’Orléans. Vains efforts! A chaque démarche faite auprès de lui, Louis-Napoléon écoutait patiemment, ne discutait pas, ne répondait rien; sa pensée silencieuse suivait son cours. Quelques jours plus tard, les décrets du 22 janvier 1852 avaient paru. Nous n’exagérons assurément rien pour tous ceux qui voudront bien se souvenir en affirmant que ces décrets furent accueillis par quelques-uns avec un étonnement douloureux, par le plus grand nombre avec indignation. Aussi peut-on dire que les princes d’Orléans ne faisaient que traduire le sentiment public en adressant aux exécuteurs testamentaires la lettre