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de l’assemblée nationale. Le roi exilé m’avait donné pour unique mandat de faire triompher avant tout le droit, et s’était tu sur le chiffre des provisions, qu’il abandonnait à la justice de l’assemblée. C’est dans cet esprit que je présentai mes observations sur la rédaction des divers articles du projet, qui fut bientôt arrêté.

Ce projet maintenait encore, malgré mes efforts, un séquestre rigoureux; cependant la plupart des articles reconnaissaient le principe de la propriété comme résidant sans contestation possible entre les mains des membres de la famille d’Orléans, et plaçaient l’entière liquidation des dettes de l’ancienne liste civile et du domaine privé sous la protection des règles du droit commun (art. 1er). Dans le cas où un emprunt serait jugé nécessaire, il ne pourrait être contracté sans le concours du liquidateur général nommé par le chef du pouvoir exécutif; mais il serait négocié par les mandataires des propriétaires (art. 3). Les biens du domaine privé et des princes resteraient sous la haute surveillance du ministre des finances avec le concours du liquidateur général, d’ailleurs ces biens devaient être administrés pour toutes les affaires courantes par les mandataires de la famille d’Orléans. Les biens dotaux, douaires, valeurs mobilières et objets personnels, seraient immédiatement restitués (art. 4 et 6). Enfin une provision sur les revenus serait fixée par le conseil des ministres pour chacun des propriétaires (art. 5 et 7).

Telles étaient les dispositions principales du décret projeté; toutefois la rédaction ne devait devenir définitive qu’après une dernière conférence, qui eut lieu à l’hôtel du général Cavaignac dans les premiers jours d’octobre. Les personnes présentes étaient le général, chef du pouvoir exécutif, M. Goudchaux, ministre des finances, M. Berryer, rapporteur du comité des finances, M. le procureur-général Dupin, qui devait tenir la plume de la rédaction, M. le président Laplagne-Barris et moi. Le projet ne donna lieu à aucune observation sérieuse jusqu’au moment où M. Laplagne-Barris, représentait des intérêts du duc d’Aumale et du prince de Joinville, fit remarquer que le projet ne contenait aucune disposition relative aux biens personnels des deux princes, et qu’il était aussi convenable que nécessaire de leur consacrer des dispositions spéciales. L’avis ne pouvait soulever aucune objection; M. Dupin se préparait à le formuler. Ici se place un épisode qu’on peut justement appeler une scène de caractère. Dupin était assis dans le fauteuil du général Cavagnac, la plume à la main. Adossé à la cheminée, je regardais Dupin, et le général se promenait de long et large, souffrant déjà du mal qui l’a enlevé avant l’âge à l’estime de la France, à l’affection de ses amis. Tout à coup Dupin hésite avec l’air du plus grand embarras. « Eh bien! lui dis-je, écrivez donc