Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant, si le séquestre absolu établi par le décret du 26 février devenait de plus en plus régulier, il n’en restait pas moins un grand danger pour le droit; ce danger était d’autant plus redoutable que la lutte politique dont j’avais pu entrevoir les premiers symptômes dans le sein du gouvernement provisoire à propos d’une question spéciale était passée dans l’assemblée en se généralisant, et menaçait d’en sortir pour devenir une affreuse guerre civile dont les horreurs ne devaient être dépassées que vingt-trois ans plus tard.

Qu’importaient à ce moment les discussions du droit ou les exigences d’un séquestre plus ou moins rigoureux? La question n’était plus dans la question : elle était tout entière dans le résultat de l’immense assaut que les passions de la démagogie livraient à la société, défendue par le loyal Cavaignac, par tant de généraux prêts à donner leur vie pour elle, et par une garde nationale sur laquelle n’avait pas encore passé le souffle énervant et corrupteur du second empire. La victoire de l’ordre devait être celle du droit; l’occasion était venue, il fallait la saisir. Elle ne tarda pas d’ailleurs à se présenter d’elle-même à la faveur d’une circonstance imprévue qui me permit de pénétrer tout naturellement jusque dans le cabinet du chef du pouvoir exécutif et de discuter par la suite, au sein même du gouvernement, toutes les questions relatives aux biens de la maison d’Orléans.

Le général Dumas, aide-de-camp du roi Louis-Philippe, étant venu à Paris pour régler quelques affaires, avait profité de ses relations avec le ministre de la guerre pour s’informer, vers les premiers jours du mois de juillet, des intentions du général Cavaignac au sujet des biens du roi et de la famille royale. Le général Dumas était bien posé pour prendre et obtenir ces informations. Officier d’Afrique comme le chef du pouvoir lui-même, glorieusement blessé au siège de Constantine, il avait plus d’un titre pour être favorablement accueilli. Cependant, s’étant mis en rapport avec le général Cavaignac, il eut à se plaindre de la réception qui lui était faite. L’entrevue fut brusquement interrompue sans que rien de sérieux eût été dit. Une étrange susceptibilité du général Cavaignac à propos de l’emploi fait par le général Dumas des mots « leurs majestés » en parlant du comte et de la comtesse de Neuilly rompit tout à coup l’entretien. La scène fut assez vive des deux côtés pour que le roi m’écrivît très peu de jours après une lettre où je lisais : « Le général Cavaignac a reçu de telle sorte la demande d’explications que Dumas venait lui porter de ma part, que je viens réclamer de votre dévoûment l’interruption de toute démarche auprès du général et de son gouvernement. Je préfère mille fois souffrir de la misère et renoncer à toute provision ou restitution plutôt que de les acheter au prix de ma dignité personnelle, que j’entends conserver intacte.»