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mellement l’espèce de neutralité, convenue et formulée par le décret du 26 février 1848, entre la reconnaissance de la propriété et la mainmise plus ou moins complète de l’état; mais elle n’est du moins rappelée dans aucune, et surtout la distinction entre les biens de la famille d’Orléans et ceux de l’état, aussi bien que la séparation absolue des comptabilités, y accentue de plus en plus le caractère de la propriété privée. Un jour cependant une grave confusion eut lieu qui me permit de constater une fois de plus la disposition personnelle de membres influens du gouvernement provisoire. Je venais de lire dans un journal que le ministre des finances avait envoyé l’argenterie du château de Neuilly à la Monnaie, conformément à un décret du 9 mars qui l’autorisait à « convertir immédiatement en monnaie au type de la république l’argenterie provenant des Tuileries, du château de Neuilly et des anciennes résidences de la liste civile. » Je me rendis immédiatement chez le ministre, qui me reçut sans me faire attendre un instant, au grand scandale de quelques-uns des solliciteurs qui encombraient son antichambre. « Je viens, lui dis-je, vous épargner, s’il en est temps encore, une violation du droit de propriété et un malheur pour les richesses d’art de la France. Le décret du 9 mars place le château de Neuilly parmi les résidences assignées à la royauté par la loi sur la liste civile de 1832; or Neuilly fait partie du domaine privé, — voilà pour le droit de propriété. Quant à l’argenterie, un souvenir que je tiens du roi Louis-Philippe la protégera auprès de vous. La convention a rendu un décret en 1793 pour excepter de la fonte cette argenterie dite de Penthièvre comme une des œuvres d’art qui font le plus d’honneur à l’industrie française. » A peine avais-je cessé de parler, que M. Garnier-Pagès envoyait l’ordre de respecter l’argenterie de Neuilly. Il était temps. « Croyez-le, me dit le ministre, nous ne voulons pas plus violer les droits de la propriété privée que dépouiller la France d’un de ses plus précieux trésors d’art. »

C’est ainsi que les principaux membres du gouvernement provisoire s’empressaient, quand l’occasion s’en présentait, de répudier toute idée de confiscation et de caractériser de plus en plus dans ce sens le décret du 26 février; nous pouvons conclure dès à présent de tout ce qui précède que le gouvernement provisoire de 1848, à sa naissance même, a répudié d’avance toute espèce de complicité avec l’odieux système des décrets du 22 janvier 1852.