Lamartine; c’était Lamartine lui-même. « Le roi est encore en France, me dit-il, vous devez connaître sa retraite, je viens vous la demander. Je suis autorisé par le gouvernement provisoire à faire cette démarche, et, si j’ai pris de graves précautions pour arriver jusqu’à vous, c’est pour ne pas exciter la curiosité du public et les émotions qui pourraient en naître. Dites-moi où est le roi, sous quel nom il se cache, et je pars pour aller le chercher, le conduire en Angleterre en lui remettant un million pour ses premiers besoins. »
M. de Lamartine raconte cette scène dans ses mémoires; mais ce qu’il ne pouvait raconter, c’est le mensonge pieux et cruel par lequel je lui répondis, c’est le drame qui se déroulait en moi à chacune de ses paroles. Je ne doutais pas de la loyauté de M. de Lamartine; mais qui pouvait me répondre de celle de tous ses collègues? Ne me demandait-on pas un baiser de Judas innocent pouvant conduire la victime royale au calvaire des insultes et des violences populaires? Et la dignité du roi déchu, que je pouvais faire descendre plus bas en prétendant le sauver ! Et ce complément pour les calomniateurs d’un triomphe qui pesait déjà sur moi comme une honte! Et les chances encore possibles d’une réaction de la France contre la domination révolutionnaire de Paris! Toutes ces impressions d’affection, de dévoûment, de dignité, de patriotisme, se réunirent au fond de mon âme comme un faisceau lumineux qui ne permit pas à ma conscience de s’égarer, et c’est avec une force irrésistible qu’elle plaça sur m.es lèvres à plusieurs reprises ces terribles mots : je ne sais pas... Mais qui peut dire mon supplice pendant les deux journées qui s’écoulèrent jusqu’à la nouvelle bénie du salut du roi et de la reine, conduits le 2 mars à bord d’un navire anglais par mon brave ami d’Houdetot? J’écrivis immédiatement à la reine pour lui faire connaître la responsabilité dont je n’avais pas hésité à me charger. « Je pouvais, lui disais-je, je pouvais peut-être abréger de vingt-quatre heures les souffrances du roi et les vôtres, la révolte de mes meilleurs sentimens ne l’a pas voulu; fidèle aux leçons du roi, j’ai préféré son honneur à si sûreté. » Quelques jours après, je recevais cette précieuse absolution de mon cruel dévoûment: « vous vous êtes conduit en véritable ami. »
La démarche de M. de Lamartine établit entre lui et moi des relations assez fréquentes, qui me permirent de connaître plus tôt et mieux que le public les passions diverses qui s’agitaient dans le sein même du gouvernement provisoire autour de la question des biens de la famille d’Orléans. Quelques-uns de ses membres faisaient la plus énergique résistance à toute idée de confiscation; deux ou trois seulement partageaient les passions de la démagogie. La partie intermédiaire, cédant à la peur, qu’elle décorait du nom de