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environ, fruit de quelques économies. En quittant l’Angleterre, le prince laissa pour instruction à M. Coutts d’en placer chaque année le revenu. Il y a de cela 31 ans. Ramené par l’exil en Angleterre, le roi va y retrouver son petit capital un peu plus que doublé, et sera propriétaire hors de France de 4 à 500 livres sterling environ (10 ou 12,000 francs) de revenu. Tels sont les trésors dont Louis-Philippe va jouir à l’étranger. Vous avez maintenant tous les secrets, monsieur. Il n’y en a pas d’autres à apprendre sur la politique ou sur la fortune de Louis-Philippe. »

Mon accent ajoutait sans doute beaucoup à mes paroles, car j’aperçus bientôt un grand changement mêlé d’embarras dans l’attitude de M. Marrast à mon égard. Je crois pouvoir dire qu’il m’apparut à ce moment tel qu’il était réellement : mobile, plus artiste qu’homme politique, organe de passions qu’il partageait à peine, et désintéressé d’ailleurs des violences de son passé par les jouissances même matérielles du pouvoir qui venait de tomber entre ses mains. Quoi qu’il en soit, il changea bientôt le terrain de la conversation en me provoquant à une discussion de principes sur la monarchie constitutionnelle et la république. Ce ne fut pas la partie la moins animée de notre entretien; mais je ne veux m’arrêter en ce moment qu’aux dernières paroles échangées entre nous, qui se rapportent à mon sujet. Comme je lui parlais des bruits de confiscation qui trouvaient crédit auprès de quelques personnes, — « n’en croyez rien, me dit-il, nous ne sommes pas des spoliateurs, mais des créanciers; nous séquestrerons, rien de plus. Le séquestre sera sévère et complet; mais il laissera la question tout entière jusqu’à la décision de l’assemblée nationale, seul juge compétent. »

Avec M. de Lamartine, le soupçon de confiscation n’était point même permis : assurément sa conduite le 24 février pouvait passer pour une trahison après tous les engagemens qu’il avait pris envers quelques-uns de ses amis et envers lui-même; mais à part cette coupable et irrémédiable faiblesse de son ambition et de son orgueil, il avait repoussé résolument le drapeau de la démagogie, et restait après tout dans le sein du gouvernement provisoire le défenseur des principes sociaux les plus menacés. M. de Lamartine était venu d’ailleurs au-devant de moi pour m’entretenir de la sûreté du roi et de ses intérêts; sa démarche spontanée témoignait de sa part des dispositions d’esprit trop intimement liées à celles qu’il devait apporter dans le gouvernement, — une ombre de remords peut-être, — pour que je ne raconte pas ici la scène si émouvante pour moi dont elle fut la source.

C’était le 1er mars; la nuit approchait. On m’annonce « M. de Champeaux; » le visiteur entre aussitôt enveloppé dans un manteau et le chapeau rabattu. C’était une entrée à la manière de M. de