Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ripétie bien autrement importante s’est produite tout à coup. Le chancelier de l’empire, M. de Beust lui-même, a été obligé de quitter le pouvoir en recevant, comme compensation, un siége viager à la chambre des seigneurs et le poste d’ambassadeur à Londres. Depuis cinq ans, M. de Beust était au ministère à Vienne, et il avait rendu à l’Autriche des services, soit par sa dextérité diplomatique, soit par le soin qu’il avait mis à faire la paix de l’empire avec la Hongrie. Il en avait été du reste amplement récompensé par la brillante fortune qu’il avait trouvée à Vienne, et qui le plaçait, lui l’ancien ministre du roi de Saxe, au niveau de son terrible antagoniste de Berlin. M. de Bismarck était chancelier de la confédération du nord, M. de Beust devenait chancelier d’Autriche. Le roi Guillaume avait fait un comte de M. de Bismarck avant d’en faire un prince, et M. de Beust, lui aussi, était fait comte par l’empereur François-Joseph. Pendant ces cinq ans, M. de Beust a joui d’une faveur constante à Vienne, et a pu déployer un esprit fertile en expédions, quoiqu’en somme peu propre aux grandes choses. On pourrait peut-être dire que le résultat de son passage aux affaires n’est pas proportionné au rôle d’apparat qu’il a eu.

Comment a-t-il été conduit à se retirer ? L’empereur François-Joseph n’aurait point, à ce qu’il semble, été entièrement satisfait de l’attitude de M. de Beust dans les incidens qui ont amené la chute du ministère Hohenwarth ; il aurait trouvé que le chancelier l’avait placé dans une fausse position par ses observations tardives sur le compromis avec les Tchèques. Il en était résulté, dès les premiers jours, entre l’empereur et le chancelier, un certain malaise qui devait aboutir à une séparation, d’ailleurs adoucie par les témoignages les plus flatteurs. Aujourd’hui M. de Beust a pour successeur le président du cabinet hongrois, le comte Andrassy, qui à son tour serait remplacé à Pesth par le ministre des finances de l’empire, le comte Lonyay ; de sorte que l’Autriche se trouve en ce moment avec une triple crise ministérielle, avec trois cabinets en reconstitution. La politique générale de l’Autriche n’en sera point essentiellement changée sans doute ; déjà cependant la Bohême prend-ses mesures, la diète de Prague vient de déclarer qu’en présence de la chute du cabinet Hohenwarth elle n’enverra pas de députés au Reichsrath. Tout est à recommencer, les hommes seuls changent, présidant l’un après l’autre à une crise qui est toujours la même en étant toujours nouvelle.

Ch. de Mazade.

C. Buloz