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ont la bonté de ne vouloir désobliger personne. Ce qui nous étonne un peu plus, c’est que des hommes qui ont quelquefois reproché aux autres leur âpreté à la curée, qui tiennent sans doute à ne point se diminuer devant l’opinion, ne voient pas ce qu’il y a de malséant dans cette poursuite de fonctions auxquelles ils ne sont certes appelés ni par une vocation évidente ni par une nécessité publique, et qu’on ne leur accorde en fin de compte que par une certaine condescendance, pour leur faire plaisir. Il faut pourtant y songer, plus que jamais tout doit être sérieux et mesuré dans l’action extérieure de la France, et c’est principalement dans notre diplomatie qu’il n’y a aucune place pour ces fantaisies qui se font jour un peu de toutes parts. Ce n’est pas que la diplomatie française ait pour le moment de grandes combinaisons à nouer et surtout à cacher ; mais évidemment il y a une certaine connaissance des choses internationales dont on ne peut pas se passer, de même qu’il y a toujours une certaine réserve dont il est assez dangereux de s’écarter, parce qu’en définitive on ne négocie pas tout seul. On le voit aujourd’hui par ce livre que M. Jules Favre vient de publier sur Rome et la république française. M. Jules Favre a tenu à raconter sa diplomatie, et naturellement il la raconte comme il la faisait, c’est-à-dire avec l’esprit le moins diplomatique du monde. Il est persuadé que, s’il a été obligé de quitter le ministère, c’est à cause de la politique qu’il a suivie dans les affaires de Rome et de l’Italie. C’est une illusion inoffensive dont il n’y a rien à dire. Qu’arrive-t-il cependant ? Sous prétexte d’exposer sa politique, l’ancien ministre des affaires étrangères publie des dépêches dont il n’a point évidemment le droit de disposer, il divulgue des négociations dont il n’était pas absolument nécessaire de parler, et il rapporte des conversations dont l’authenticité est aujourd’hui mise en doute. M. Jules Favre n’y gagne pas grand’chose ! Que peut y gagner l’état, qui survit aux ministres ? Et si nous parlons ainsi, c’est parce que depuis quelque temps tout le monde se croit autorisé à publier sans distinction tous les papiers plus ou moins officiels qu’on trouve sous la main. A quoi cela peut-il conduire, si ce n’est à mettre partout en suspicion la sûreté des rapports avec la France ?

L’Autriche n’en est pas aux crises diplomatiques, elle est du moins engagée dans une crise intérieure qui devient de jour en jour plus difficile à débrouiller, qui est assurément la plus complexe qu’elle ait traversée depuis longtemps, elle qui est pourtant accoutumée à tout ce qu’il y a de plus compliqué en fait de crises. Le ministère cisleithan, présidé par le comte Hohenwarth, avait été obligé de donner sa démission à la suite de l’insuccès du compromis négocié avec les Tchèques, et un ancien fonctionnaire, un ancien gouverneur de la Bohême et de Trieste, M. de Kellersperg, avait été appelé à former un nouveau cabinet ; mais, avant même que le cabinet cisleithan fût recomposé — une pé-