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sur le passage des Prussiens. Seulement qui émettrait ces valeurs courantes ? Serait-ce la Banque de France, déjà fort engagée par ses avances à l’état et surchargée d’une circulation fiduciaire qui atteint 2 milliards 300 millions, qui touche presque au maximum des émissions autorisées par des lois récentes ? Ne valait-il pas mieux laisser ce soin à des sociétés de crédit, à des établissemens particuliers qui, formés en syndicat, prendraient l’initiative de ces émissions garanties par un dépôt correspondant de billets de banque ? Ces questions ont été sans nul doute agitées dans la dernière conférence qui a eu lieu entre M. Thiers et les représentans de la Banque de France. La situation a dû être minutieusement étudiée. De toute façon, il y aura une émission de valeurs fractionnées. Les nouvelles coupures remplaceront dans la pratique journalière les pièces de 5 francs, et, comme la provision de la petite monnaie subdivisionnaire est défendue par les traités monétaires qui lui ôtent une valeur de spéculation, on peut espérer avoir paré pour le moment à la difficulté la plus pressante ; mais enfin ce n’est là qu’un palliatif ; évidemment le grand, l’unique et souverain remède, c’est que tous les intérêts reprennent un énergique élan, c’est que notre commerce d’exportation se relève de façon à rétablir à notre profit les conditions du change, à faire rentrer par la puissance du travail le numéraire que la puissance brutale des armes nous ravit.

C’est ce qui peut le mieux nous aider à porter sans fléchir notre fardeau, en nous préparant à doubler le terrible cap des trois derniers milliards et au fond qui sait même si la solution la plus vraie, la plus décisive, ne serait pas dans quelque combinaison financière qui en finirait avec toutes les incertitudes, qui nous laisserait en face d’une situation précise, et nous rendrait la disposition de nos forces en devançant notre libération ? Ce n’est peut-être pas aussi impossible qu’on le croirait. Nous doutons quelquefois de nous-mêmes plus qu’on ne doute de notre pays dans le monde, et il y a dans le crédit européen des ressources qui ne demanderaient peut-être pas mieux que de se mettre à notre service pour nous aider à venir à bout de la redoutable liquidation des 3 milliards, sans attendre deux ans encore. La France est intéressée à être libre le plus tôt possible ; la Prusse, quoi qu’on en dise, n’est point intéressée à prolonger une occupation qui n’est pas sans inconvénient pour elle. Le tout est de trouver le point où le crédit intervenant à propos peut concilier les deux intérêts.

Puisque nous sommes destinés pour quelque temps à vivre avec des crises qui sont la conséquence de nos charges, c’est bien le moins que nous vivions aussi avec l’idée permanente de nous en délivrer le plus tôt et le mieux que nous pourrons. A quoi tient la réussite de cette idée ? À la confiance qu’inspire toujours nos pays, et sans doute aussi à la confiance qu’inspire notre gouvernement. Après tout, on ne se trompe pas