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qu’un sophisme d’imagination peut produire dans des âmes avilies par les flatteries et les excitations des démagogues ? Et puis, comment se fait-il que, toutes les fois qu’il prend la parole, il n’ait des ménagemens, des accens de pitié que pour ceux qui sont devant la justice du pays, et que dans son humaniié, dans son patriotisme, il ne trouve pas un mot pour les victimes des exécuteurs de la commune, pour Paris incendié, pour l’honneur de la France et de la cité souveraine si cruellement mis en péril en présence de l’étranger ? Comment peut-il parler d’une amnistie faite pour ceux qui l’accorderont aussi bien que pour ceux qui la recevront ? Par quel étrange oubli, au moment même où il plaide comme il l’entend pour des condamnés, trouve-t-il le moyen de dire lestement en parlant de l’assemblée : « Cette assemblée dont j’ai l’honneur de ne plus être ? » Or cette assemblée dont il a « l’honneur de ne plus être, » c’est la souveraineté nationale, c’est le droit national, — ou il ne reste plus qu’à proclamer la loi de la force. Est-ce là le dernier mot des imaginations progressives, pacifiques et humanitaires de M. Victor Hugo ?

Assurément si le radicalisme, tel qu’il tend à s’organiser, ne poursuit pas tout simplement une victoire équivoque et fort éphémère à travers des agitations qui conduiraient fatalement encore une fois à la défaite de toute liberté, s’il veut être un parti sérieux, utile à la république dont il se croit l’unique soutien et dont il n’est jusqu’ici que le danger, il a besoin d’abord de se dégager de toutes les solidarités funestes, de rompre hautement avec ce qui a épouvanté la France ; il a besoin de se faire une politique au moins à demi rassurante, des idées pratiques sur bien des points où il se contente encore de vaines déclamations ; il a besoin de ne plus se payer de mots, de fantasmagories et d’exhibitions, comme ce président du conseil-général de l’Hérault qui avait imaginé tout récemment de mettre dans la salle des délibérations un buste de la république avec un bonnet phrygien, et à qui M. Thiers lui-même a dû faire comprendre qu’il pouvait mettre le buste de la république là où il voudrait, mais que le bonnet phrygien allait assez de compagnie avec le drapeau rouge, et que le drapeau rouge n’était pas le drapeau de la France.

La France, c’est là toujours qu’il faut en revenir quand on veut échapper aux hallucinations ou aux égoïstes conflits des partis et retrouver un terrain solide. Oui, la France avec ses blessures trop réelles à guérir, avec ses intérêts de toute sorte à relever, avec son organisation intérieure à refaire ou à réparer de façon qu’on ne flotte pas perpétuellement dans cette alternative énervante de révolutions et de réactions, c’est là le but qu’il faut atteindre, si l’on peut, et on le pourrait, si on le voulait, avec un peu de bonne foi et de bon sens, en sachant se tenir dans la réalité et subordonner toutes les considérations particulières à ce qu’on aurait appelé autrefois du beau nom de bien public. On aura beau faire, notre infortune l’a voulu ainsi, nous sommes en