Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on a trop souvent encore sous les yeux, d’une disproportion cruelle, choquante, entre la réalité qui nous presse et ce mouvement artificiel qu’on nous donne pour de la politique, qui n’est qu’un tapage sans portée dont l’unique effet est de nous étourdir sur les véritables problèmes au milieu desquels nous sommes condamnés à vivre.

La politique ! Il n’y en a évidemment qu’une possible aujourd’hui en France au lendemain de tant d’accablantes épreuves, et cette politique, elle est si invinciblement imposée par la nature des choses, qu’il faut vraiment de la bonne volonté pour s’en détourner. La réalité en effet est là douloureuse et pour ainsi dire criante ; elle nous assiège sous toutes les formes. Une occupation étrangère qu’on a fait reculer tant qu’on a pu, mais qui pèse encore et qui pèsera pendant deux ans sur six départemens, — une crise monétaire qui n’est que la conséquence de nos engagemens et qu’on doit combattre autant que possible, — des impôts nouveaux à combiner de façon à ne point épuiser le pays, — le travail à stimuler, une armée à reconstituer, l’ordre à ramener partout dans les esprits comme dans les faits, — les habitudes de légalité et de régularité à rétablir dans un monde où ceux qui ont eu le pouvoir sont les premiers à s’en affranchir, — la paix sociale à disputer aux passions meurtrières, que faut-il de plus ? Assurément il y a bien là de quoi donner de l’occupation à tout le monde et même de quoi suffire aux plus dévorantes activités ; mais non, la réalité est importune ; il vaut bien mieux reprendre toutes les vieilles déclamations des polémiques d’autrefois, faire de la politique avec des rumeurs qu’on imagine ou qu’on grossit, et, sous prétexte d’en finir avec les incertitudes d’une situation laborieuse, commencer par ébranler le peu de sécurité que nous avons. C’est notre histoire depuis quelque temps.

Il y a une assemblée et un gouvernement dont on dira ce qu’on voudra, mais qui en fin de compte sont indubitablement le produit d’une des plus solennelles manifestations nationales. Tout cela n’a pas plus de huit mois d’existence. Est-ce un régime définitif, est-ce un régime provisoire ? C’est du moins le pays se possédant lui-même, se gouvernant lui-même, et, tel qu’il est, ce système, pratiqué avec la plus vigilante sagesse, avec le patriotisme le plus éclairé, n’a point été sans profit pour la France. Cela est beaucoup trop simple ou cela dure trop longtemps, à ce qu’il paraît. Il faut autre chose aux grands politiques en disponibilité qui sont chargés des affaires de l’empire ou de la république radicale ; il faut absolument, pour leur satisfaction, qu’il se machine à Versailles toute sorte de combinaisons mystérieuses dont ils ont le secret, bien entendu. Un jour, c’est un appel au pays, c’est un plébiscite que le gouvernement prépare avec une sournoise habileté ; un autre jour, c’est une réforme électorale qui est déjà toute prête ; naturellement on connaît les plus minutieux détails de cette réforme,