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— Vous ne voulez pas prendre le thé avec nous? demanda Mary d’une voix légèrement émue.

— Je vous remercie, miss Mary, il faut cependant que je me fasse appliquer un bandage. Au reste vous me pardonnerez, si cette semaine je néglige un peu mes devoirs de cicérone.. Je ne pense pas que je puisse sortir avant jeudi prochain.

— Pourquoi jeudi précisément?

— C’est que j’ai une affaire importante ce jour-là, répondit le baron avec un sourire mystérieux.

— Edouard, dit Mary en essayant de sourire à son tour, avouez que votre Fatmé n’est qu’une fable.

— Non, Mary, vous pourrez la voir en personne jeudi prochain, dans la vallée des Eaux-Douces.

— C’est donc là votre grosse affaire? s’écria-t-elle avec colère. Je n’aurais jamais cru, ajouta-t-elle avec une moue dédaigneuse, que vous saviez bâcler des rendez-vous en si peu de temps. C’est un nouveau talent que je vous découvre.

— Ce sont les circonstances qui font naître les talens, répliqua-t-il en haussant les épaules, puis il s’inclina et prit la porte. Il s’y arrêta un instant, ayant l’ait de se consulter, puis revint à la table. — Miss Mary, dit-il d’une voix insinuante, cette babouche vous appartient de plein droit, parce-que c’est pour vous que j’ai été la chercher. Cependant elle ne saurait avoir aucune valeur à vos yeux, vous en trouverez de bien plus belles au bazar. Moi, au contraire, je serais heureux de la posséder; me la céderez-vous?

— Que nenni, monsieur le baron ! s’écria-t-elle en se levant d’un bond et en saisissant la mule rouge d’un geste un peu violent; la babouche est à moi, et je la garde.

— A votre aise, répondit Edouard avec calme. Pour rien au monde, ajouta-t-il du ton d’un homme qui veut écarter l’ombre d’un soupçon, je ne voudrais vous laisser croire que je sois amoureux de Fatmé. — Sur ces mots, il sortit après avoir fait une nouvelle révérence.

Le lendemain matin, le baron fit venir les drogmans et les autres serviteurs ou employés de l’ambassade, et leur intima de répandre le bruit qu’un Franc, — un aventurier espagnol, — ayant pénétré avec effraction dans le harem d’Abdoul-Pacha, y avait été blessé, et était mort de ses blessures. — Ce bruit, se dit-il, viendra aux oreilles du pacha, qui croira sa vengeance satisfaite et ne songera pas dès lors à pousser les choses plus loin; nous éviterons de cette manière le scandale qui pourrait résulter de l’affaire. Il en advint comme il l’avait espéré. — Deux fois par jour, le domestique de miss Mary vint prendre des nouvelles de la santé d’Edouard. Le jeudi, vers le soir, il lui remit le billet suivant :