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— Je ne plaisante nullement, poursuivit-elle. Je vous le demande comme une preuve d’amitié, d’amour, de tout ce que vous voudrez, si vous tentez l’entreprise...

— Songez, Mary, répondit le jeune homme devenu sérieux, songez au scandale qui pourrait en résulter, songez à ma position et à l’embarras que je causerais à l’ambassade. Ce n’est certes pas le danger que...

— Bah! vous avez peur!

— Et je vous laisserais ici toute seule, vous que votre père m’a confiée?

— Oh! moi, dit-elle en appuyant sur le mot, moi je ne crains rien. Je vous attendrai là-bas derrière les buissons.

Les traits de la jeune fille exprimèrent si bien qu’elle doutait de son courage, il entrevit tant de quolibets, peut-être même quelque chose de pire, qu’il résolut de commettre une sottise pour les beaux yeux de cette petite personne volontaire qu’il aimait de tout son cœur. Avec une sorte de désespoir, il descendit de cheval, amena la bête près du mur, la flatta de la main pour la calmer, puis d’un bond il fut debout sur la selle, et saisit de ses deux mains la crête du mur. La jeune Anglaise battait des mains de plaisir. D’un nouveau bond, il fut sur le mur. La cloison laissait un rebord étroit sur lequel il essaya de s’assurer en écartant les jambes, après quoi il se mit en devoir de démolir l’obstacle qu’il avait devant lui; bientôt, cédant à ses efforts réitérés, deux planches tombèrent avec bruit dans le jardin. Une seconde plus tard, il avait disparu par la brèche. Mary ne put retenir un cri d’effroi. Elle oublia de se cacher derrière les broussailles, et resta au pied du mur dans une attente pleine d’anxiété. Tout à coup on entendit des voix féminines appelant au secours; elles semblaient venir d’un troupeau de femmes s’éparpillant dans une fuite désordonnée, et se perdirent enfin dans la direction de la maison bâtie au bas de la colline, puis tout rentra dans le silence. Mary se prit à trembler de tous ses membres; elle se reprocha d’avoir exposé Edouard à un danger manifeste pour le seul plaisir de commettre une espièglerie. Cependant le silence se prolongeait, et elle reprenait peu à peu courage, tout en jetant des regards inquiets vers la brèche par laquelle Edouard devait revenir; mais au bout de quelques instans les voix se firent de nouveau entendre du côté de la maison, plus bruyantes cette fois et entremêlées de voix d’hommes. — Edouard! Edouard! s’écria Mary, — et elle poussait son cheval le long du mur comme pour chercher une entrée; puis elle s’élançait vers la campagne pour découvrir quelque Européen qu’elle pourrait appeler au secours. Sa terreur redoubla quand un bruit d’armes vint se mêler à ces voix furieuses. — Ils vont l’assassiner! criait-elle désespérée, et c’est moi qui au-