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Dieu une créature inférieure à son père. » Il ne voyait dans l’union de Dieu et de l’homme en la personne du fils de Marie qu’une union de volonté et de dignité, union purement morale, non réelle ; aussi l’indiquait-il par un mot qui signifie connexion plutôt qu’union. La conséquence était qu’au lieu d’appeler Marie mère de Dieu ou mère de l’homme, il valait mieux l’appeler mère du Christ, christotocos, puisque le Christ renfermait en lui-même les deux natures du Dieu et de l’homme.

Ces argumens, devenus le thème des nestoriens, en étaient spécieux, et Cyrille ne manqua pas d’y répondre. Il le fit par une lettre très développée, restée fameuse dans l’antiquité sous la désignation de deuxième Lettre à Nestorius ou de Tome, attendu qu’elle formait un traité complet sur le mystère de l’incarnation ; elle fut publiée au commencement du mois de février 430. On la considère comme le chef-d’œuvre de Cyrille, dont elle reproduit les qualités et les défauts. Le style en est sec et sans ornemens ni élégance, et l’écrivain y affecte la rigueur des démonstrations philosophiques ; mais son argumentation serrée saisit le lecteur et l’entraîne, quoi qu’il en ait, à sa dernière conséquence. L’érudition la plus étendue, une connaissance non moins grande des pères que de l’Écriture, y viennent à l’appui de la thèse, et confirment par un second ordre d’autorité l’autorité du raisonnement. A partir de ce moment, la deuxième Lettre à Nestorius occupa le principal rang dans la controverse, et nous la verrons plus tard invoquée au sein des conciles comme un texte presque canonique.

Cyrille, dans cette lettre, comme dans ses autres écrits, se fait l’homme de la tradition. Il prend l’interprétation commune du mystère ; il se l’approprie, il la soumet au raisonnement, il en fait un tout et une doctrine. Sa base est celle-ci : « il faut admettre dans le même Jésus-Christ les deux générations, — l’éternelle, par laquelle il procède de son père, — la temporelle, par laquelle il est né de sa mère. Quand nous disons qu’il a souffert et qu’il est ressuscité, nous ne disons pas que le Dieu-Verbe ait souffert en sa propre nature, car la Divinité est impassible ; mais, le corps qui lui a été fait propre ayant souffert, nous disons qu’il a souffert lui-même ; nous disons ainsi qu’il est mort. Le Verbe divin est immortel de sa nature ; il est la vie même, mais son corps a souffert la mort pour nous, sa chair est ressuscitée, et on lui attribue en cela la mort et la résurrection. Nous ne disons pas que nous adorons l’homme avec le Verbe, de peur que le mot avec ne donne quelque idée de division ; nous l’adorons comme une seule et même personne, parce que le corps du Verbe ne lui est pas étranger. C’est ainsi que les pères ont osé nommer la sainte Vierge mère de Dieu, non que la nature du Verbe ait pris d’elle le commencement de son être, mais parce