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politique a succédé au morcellement féodal. Partout une administration régulière, uniforme, responsable, a été substituée à la routine indolente et paresseusement abusive des autorités locales, ou à l’arbitraire capricieux des délégués du pouvoir politique. Liberté de conscience, tolérance religieuse, liberté de penser, liberté individuelle, indépendance municipale, tous ces droits dont l’ensemble constitue les conquêtes de la révolution française, il n’est pas aujourd’hui un peuple en Europe qui ne les possède tous en bloc, et qui n’en pratique quelques-uns en particulier avec une supériorité marquée. De bonne foi, est-ce que la révolution se chargera d’enseigner aux Anglais la pratique du gouvernement parlementaire et la liberté individuelle, aux Allemands la régularité administrative et la liberté de penser, aux Italiens la liberté municipale ? En proposant ses bienfaits à l’acceptation des autres peuples, la révolution n’imiterait-elle pas la conduite d’un négociant qui proposerait à ses collègues des marchandises dont leurs magasins regorgent, et en vantant telle de ses conquêtes devant tel ou tel peuple ne jouerait-elle pas bien souvent le rôle de l’écolier qui offre à son maître de lui donner les leçons qu’il oublie en avoir reçues ? En parcourant la liste des pays de l’Europe, je n’en vois guère qu’un seul qui pût encore apprendre quelque chose de nous, l’Espagne ; mais, par un guignon particulier, il se trouve que c’est précisément de tous celui qui se soucie le moins de nos leçons, et qui les repousse avec le plus d’énergie. Ce que l’Espagne a fait payer à la révolution française ses brusqueries et ses caresses, nous en savons le compte ; il se solde par la ruine de deux empires, le naufrage d’une monarchie libérale, et la perte de deux provinces. C’est pour la révolution une écolière peu désirable que l’Espagne, particulièrement dans les jours difficiles et dangereux que nous avons à traverser. Si par hasard c’était elle qui nous donnait des leçons, alors que nous croyons l’instruire, et si, en échange de la pratique des journées révolutionnaires que nous lui avons apprise, elle nous enseignait l’art des prononciamentos !

La nouvelle constitution de l’Europe ne permet donc plus à la révolution de nous assurer sur le continent cette suprématie politique que nous y avons exercée si longtemps. Cette suprématie, elle ne l’avait point créée, elle l’avait trouvée dans l’héritage du passé, et c’était le seul legs qu’elle en eût voulu conserver ; mais elle nous l’avait maintenu, et à certains égards nous l’avait agrandi dans des proportions tout à fait exceptionnelles. Si ce rôle grandiose lui échappe, si elle est obligée d’en accepter un plus modeste, saura-t-elle s’en contenter et en tirer profit ? C’est en tremblant que je pose cette question. La révolution française, ne l’oublions pas, est encore plus un élément qu’une doctrine : or les seuls rôles