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puissance, tantôt par l’initiative des gouvernemens eux-mêmes, tantôt par l’accord plus ou moins étroit des gouvernemens et des populations. Une chose triste à dire, mais qui n’est que trop vraie, c’est que ce renouvellement général de l’Europe, — auquel nous poussions avec tant d’ardeur, — n’était sans danger pour notre puissance que dans le cas où il pouvait être en même temps un affaiblissement pour les divers peuples. La liberté laisse les peuples bien faibles quand elle s’obtient par les luttes intestines, aux dépens des autorité légitime, et autrement que sur l’étranger. Or ce moyen d’action était au pouvoir de la révolution française, et c’est elle-même qui l’a fait tomber de ses mains par les fatales journées de février, car elle y a perdu de s’adresser directement aux peuples et de les mettre en opposition avec leurs gouvernemens. Tous autres changemens que ceux opérés par une émulation révolutionnaire et une imitation scrupuleuse de notre histoire contemporaine devaient nécessairement nous être néfastes, et c’est ce que nous ont si durement démontré en un si court laps de temps le rajeunissement de l’Italie et l’unification de l’Allemagne. Que le résultat eût été différent pour nous, si les Allemands eussent cherché leur unité par les moyens de la démagogie, et si les Italiens avaient de préférence choisit pour agens de leur résurrection Garibaldi ou Mazzini !

Eh bien ! dans ce nouvel état de l’Europe, quelle est, je le demande, la vertu de propagande qui demeure à la révolution française ? Tous les droits dont elle nous a vendu à un taux ruineux la possession incertaine, incomplète, trop souvent passagère, en nous en retenant usurairement la moitié comme escompte de ceux qu’elle voulait bien nous laisser, — par exemple en nous confisquant la liberté comme gage de l’égalité, — les autres peuples les ont obtenus à bien meilleur marché, ou même les ont acquis pour rien. Point n’a été besoin chez eux d’exécutions sauvages, de déportations réitérées, de guerres sans trêve ni merci ; quelques légers procès en cour civile, sans coups ni blessures, et la plupart du temps une habile transaction consentie entre les parties plaidantes y ont suffi. Quelquefois même il est arrivé que tel ou tel de ces fameux droits avait éclos de lui-même, lorsque l’heure en était venue, sur l’arbre antique de leur civilisation, ou qu’ils en héritaient tout à coup comme d’un legs des siècles dont les titres avaient été soit égarés, soit obscurcis, mais n’avaient pas été prescrits. La révolution fera donc en vain appel aux peuples, les peuples ne lui répondront pas, car on ne se dérange point pour acquérir ce qu’on possède, et elle ne peut leur offrir aucun bien dont ils n’aient déjà l’usage. La Russie exceptée, l’Europe entière est gouvernée par des parlemens issus du suffrage populaire. En tout pays, l’unité