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considéra ce mouvement tout intérieur comme l’équivalent d’une bataille gagnée. C’est beaucoup moins comme une extension des libertés publiques que comme un soufflet appliqué sur la joue de la vieille Europe et une revanche de Waterloo que la masse de notre nation interpréta cet événement, et les gouvernemens étrangers, tout en affectant de n’y voir qu’une affaire exclusivement française, nous prouvèrent trop par une longue bouderie de dix-huit années que cette interprétation était aussi la leur. Si grande était la force que la France tirait de cette opposition tranchée entre son état politique et celui de l’Europe, que son attitude seule constituait une menace. Que dis-je, son attitude ? son silence même alarmait. Rappelez-vous, si vous avez l’infortune de faire remonter vos souvenirs jusqu’à cette époque, les jours d’alcyon du roi Louis-Philippe. Que la paix était profonde, et cependant comme cette atmosphère pacifique était parcourue en tout sens par les courans de l’électricité libérale ! Sans faire passer la frontière à un seul soldat, sans distribuer clandestinement des pamphlets de propagande révolutionnaire aux sujets des états despotiques, sans encourager la plus petite société secrète, le gouvernement de juillet gagnait chaque jour du terrain, sinon sur l’antipathie des cabinets étrangers, au moins sur l’opinion publique de l’Europe ; la contagion de notre exemple gagnait lentement, mais sûrement, les peuples, et c’est peut-être une des seules époques de notre histoire dont on puisse dire, sans paradoxe aucun, que la paix y était conquérante à l’égal de la guerre. A quel point ce rayonnement pacifique de notre influence révolutionnaire avait déjà pénétré l’espace, on le vit, lorsque les malencontreuses journées de février firent éclater prématurément à leur suite tant d’insurrections avortées, d’émeutes boiteuses, de réformes contrefaites et de plans mal conçus. Si cette paix révolutionnaire eût continué encore vingt années, l’Europe entière se trouvait renouvelée à notre exemple, sur notre modèle, et renouvelée sans danger pour notre puissance ; mais les alarmes que suscita partout l’œuvre inutile de patriotes trop pétulans, — les réactions et répressions qui s’ensuivirent, changèrent alors pour jamais la direction des événemens en faisant regagner aux gouvernemens tout le terrain conquis par l’opinion publique européenne. Dès lors nous fûmes menacés au lieu de menacer, en sorte que la première responsabilité de nos récens désastres remonte de la manière la plus authentique à cette impatiente révolution de février, qui, par les réactions qu’elle suscita, délivra les gouvernemens de la paralysie que l’influence française étendait peu à peu sur eux, et leur rendit leur puissance et leur liberté d’action.

L’Europe cependant ne s’en est pas moins renouvelée entièrement, mais elle s’est renouvelée par des moyens contraires à notre