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quelques-unes des places polonaises en réduits complètement imprenables. Modlin, situé au confluent du Bug et de la Vistule, sans population civile à nourrir et à ménager, est le modèle du genre. « Immense, silencieuse et sombre, dit M. Brackenburg, destinée à l’attaque et à la défense, Modlin est bien l’image du gigantesque et menaçant empire du nord qui couve l’Europe du regard, attendant son heure. » Le réseau stratégique des voies ferrées est formé d’abord de quatre lignes dirigées du nord au sud, afin de permettre la concentration en arrière du point d’attaque ou la défense des deux côtes de la Baltique et de la Mer-Noire, ensuite de quatre lignes tracées de l’est vers l’ouest, afin de permettre aux armées de se porter rapidement en Prusse, en Autriche ou dans les principautés. Le réseau entier, déjà dessiné, n’est pas achevé. En résumé, on peut dire que la Russie n’est pas encore prête à l’action. La réorganisation à la prussienne est à peine commencée ; l’armement est incomplet, le réseau ferré n’est pas terminé, et le budget se solde chaque année par un déficit. Le parti ultra-moscovite se montre trop pressé au gré du gouvernement. C’est, dirait-on, une imprudence ; c’est peut-être aussi le moyen de rallier tous les Slaves sous un drapeau commun.

Si cette lutte formidable devait éclater un jour, que ferait, que devrait faire la France ? Depuis longtemps l’alliance russe a été une tentation pour la France, et à l’avenir elle le sera plus que jamais. Napoléon Ier l’a adoptée un moment, puis rejetée, Charles X s’y engageait vers la fin de son règne et Napoléon III dérivait par momens de ce côté. La raison en est simple. Ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ni même la Prusse ne peuvent rien céder à la Russie ; il y va de leur existence comme grandes puissances. La France au contraire peut croire qu’elle ferait un bon marché en accordant le Danube et même les Dardanelles en échange du Rhin et de l’Escaut. Le Rhin est si près, et le Bosphore est si loin ! Il est incontestable que Napoléon III, se donnant pour mission la revanche de Waterloo et le retour aux frontières léguées par la république et perdues par l’empire, s’est trompé d’allié. Avec leurs trames sournoises et leurs complots avortés qu’ils essaient en vain de pallier aujourd’hui par le mensonge, Napoléon III, conspirateur sur le trône, et ses diplomates, agens naïfs d’une politique à la fois perfide et inepte, tous se sont laissé jouer par Cavour et Bismarck, qui eux se mettaient hardiment à la tête du mouvement national unitaire de leur pays respectif. La petite politique compte sur les dispositions personnelles, sur des promesses, sur des marchés ; elle agit dans l’ombre, et c’est toujours un jeu de trompeurs et de dupes. La grande politique table sur l’accord des intérêts des peuples et sur la force des idées qui règnent à un moment donné. Elle peut se faire au grand jour,