Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en faire des alliés dévoués et très utiles dans l’avenir. A cet effet, elle doit lever hardiment la bannière du panslavisme, et se faire partout le champion de ses frères opprimés ou humiliés. C’est ce que récemment encore ses hommes d’état ne voulaient pas comprendre. En 1849, l’envoyé russe à Vienne, le comte Medem, repoussait les sympathies slaves en disant : « En Autriche, je ne connais que des Autrichiens, » et en refusant de s’entendre avec le ban Jellachich. Il est temps d’adopter une autre politique. Il faut que tous les Slaves luttant contre le joug allemand ou magyar sachent que le cœur de la Russie est avec eux ; le gouvernement, l’église, les particuliers, doivent venir à leur aide. Il faut secourir efficacement le mouvement littéraire, accorder un appui dévoué à tous les chefs du mouvement, et les accueillir en Russie, s’ils sont obligés de fuir leurs foyers. Il est nécessaire de répandre chez tous les Slaves la connaissance de l’histoire, de la langue et de la littérature russes, comme déjà cela s’est fait en Bohême, et d’autre part il faut leur ouvrir les rangs de l’armée et les chaires de l’enseignement. On établira ainsi un contact intellectuel, une entente fraternelle, entre tous les groupes du monde slave, et, quand chez tous le sentiment national sera puissamment réveillé, alors la Russie pourra compter sur eux.

La communauté de la foi ne peut manquer d’attirer aussi les Roumains et les Grecs vers la Russie, qui seule peut représenter et protéger l’orthodoxie. Sans le secours des Russes, les Roumains des principautés, des confins militaires et de la Transylvanie ne parviendront point à s’unir en un seul état, et les Grecs n’arriveront pas davantage à s’adjoindre leurs frères restés sous le joug turc. La Russie a besoin d’eux, mais eux ont bien plus encore besoin de la Russie. Donc une entente est imposée par l’identité des intérêts. Il ne peut être question d’annexer tous ces groupes divers à l’empire, il faut seulement les aider à reconquérir leur indépendance, conserver à chacun son autonomie, lui donner même un prince de la famille impériale de Russie, mais les unir tous dans une vaste confédération dont le tsar serait le chef, et qui aurait une armée et un budget militaire communs comme dans l’empire allemand. Ces peuples comprendraient bientôt que, s’ils ne se groupent pas autour de la Russie, ils tomberaient sous le joug de l’Allemagne. Entre ces deux immenses empires, il n’y a point de place pour une confédération indépendante sans lien intime, sans tradition, sans langue communes, et où seraient compris des Allemands et ces Magyars habitués de tout temps à dominer. Le monde slave est encore semblable à une nébuleuse cosmique : pour se constituer en un corps organisé, il faut un centre d’attraction et d’unité ; or ce centre ne