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encore une des idées chimériques caressées par Napoléon III d’arriver à Berlin par un débarquement dans la Baltique malgré 2 ou 300,000 hommes de landwehr que les chemins de fer permettaient de concentrer aussitôt au point attaqué. Donc aujourd’hui la France et l’Angleterre alliées ne pourraient plus arrêter la Russie en Turquie ; mais l’Autriche le peut sans même tirer l’épée, comme elle l’a fait en 1854 ; un simple coup d’œil sur la carte le démontre à l’évidence. Que l’Autriche masse 200,000 hommes en Transylvanie, et les armées russes ne peuvent un instant songer à traverser le Danube. En effet, tandis qu’elles s’avanceraient sur le Balkan, l’armée autrichienne marchant en avant les couperait complètement, et elles se trouveraient prises comme dans une trappe. Ce n’est pas tout : l’Autriche peut en même temps porter au cœur de l’empire un coup bien plus terrible encore. Par la Galicie, elle tient en ses mains la question de la Pologne. Pendant que les armées russes combattraient en Turquie, elle n’aurait qu’à promettre la reconstitution du royaume des Jagellons, dont la Galicie ferait partie ; les Polonais se soulèveraient et s’avanceraient avec elle sur la capitale même de l’empire. On peut donc admettre comme démontrée la proposition suivante : tant que l’Autriche sera une puissance de premier ordre, la Russie ne peut résoudre à son profit la question d’Orient. La route qui de Saint-Pétersbourg conduit à Constantinople doit nécessairement passer par Vienne. La Russie, si elle n’écoute que son ambition, n’a pas de plus grand intérêt que de voir l’Autriche s’affaiblir, se disloquer et surtout perdre sa puissance militaire.


II

La Russie ne peut-elle pas du moins compter sur l’alliance de la Prusse ? Le général Fadéef ne se fait aucune illusion à cet égard, et il n’hésite pas à répondre que non. Il analyse avec une impartialité toute scientifique les intérêts des deux états, et il constate qu’ils sont devenus divergens. Tant que la Prusse avait à redouter une attaque de la part de la France et de l’Autriche unies, nous pouvions, dit-il, compter sur « notre bon allié, » qui aurait eu besoin de nous pour repousser ces deux adversaires, et, pour avoir notre appui, il nous aurait fait peut-être de grandes concessions en Orient ; mais dans les circonstances la Prusse ne peut plus nous abandonner le Danube sans perdre son prestige et sans se faire honnir par tout bon patriote allemand.

L’alliance entre la Prusse et la Russie date de loin ; elle a duré presque sans interruption depuis le traité conclu entre Pierre et