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c’est-à-dire la majeure partie du revenu public, ne demandant à sa dîme que 75 millions sur son budget un peu imaginaire de 177 millions : un budget anodin dont l’énoncé fait sourire. Pour assurer ce modeste résultat, ce grand citoyen ne se sent pas moins obligé d’invoquer des mesures de rigueur ; il demande « que le roi veuille bien s’en expliquer par une ordonnance sévère, qui soit rigidement observée, portant confiscation des revenus recelés et cachés, et la peine d’être imposé au double pour ne les avoir pas fidèlement rapportés ; moyennant quoi et le châtiment exemplaire pour quiconque osera éluder l’ordonnance et ne pas s’y conformer, on viendra à bout de tout. » Et voilà ce dont on veut faire un système général ! Et ce serait là ce qu’on nomme la liberté démocratique ! Ce serait de l’égalité, un système où la minorité riche porterait seule le fardeau jusqu’à extinction de ses forces, un système où la majorité, je ne dis pas nécessiteuse, ni même pauvre, mais reconnue assez aisée dans tous les pays pour payer sa part d’impôt, devrait, sous peine de trop vives souffrances, être l’objet de ces soulagemens ou de ces exemptions radicales, acceptables peut-être avec l’impôt partiel sur le revenu, mais véritablement indignes s’il s’agit d’une mesure générale ! Et on ne sent pas que ce serait consacrer l’avilissement d’une grande partie de la nation, changée en un peuple de mendians, soustrait à l’obligation civique, appelée « honorable » par la convention, de payer l’impôt ! Le régime de faveur pour les uns et d’oppression pour les autres de l’ancien régime reparaît ici en sens inverse et avec aggravation ; il reparaît accompagné d’un cortège de dénonciations qui dépasse ce qu’on a vu de la taille ; il reparaît avec des catégories dressées à l’avance pour des rigueurs s’étendant fatalement des biens aux personnes. Pour ne pas prévoir de telles conséquences, il faut n’avoir à aucun degré le sentiment de ce qui se passe, dans les temps troublés par des crises financières et par de profondes divisions sociales et politiques, chez les masses et chez ceux qui les conduisent.

Nous n’avons point à faire valoir contre l’impôt sur le revenu partiellement établi d’objection absolue, pourvu qu’on ne prétende pas l’introduire pour des beautés particulières qu’on croirait lui reconnaître. Il n’y a pas de bel impôt, et celui-là paraît encore moins beau que beaucoup d’autres. Il peut y avoir lieu ici à résignation, non à enthousiasme. Lorsqu’on succombe sous la charge des autres taxes, lorsque le devoir patriotique commande impérieusement des sacrifices, il faut savoir virilement accepter celui-là. Notre bourgeoisie riche ne saurait, si cela devient nécessaire, faute de combinaisons fiscales préférables, se refuser peut-être à un impôt que, malgré des inconvéniens connus, ont pris à leur charge les bourgeoisies élevées en Angleterre, en