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peuple-ci est très ignorant. On voit bien que ses pasteurs n’ont pas eu le loisir de l’instruire. » Ce trait méchant tombait sur les prédécesseurs de l’archevêque, et allait frapper directement Chrysostome. Le clergé métropolitain s’en émut, et, puisqu’on l’accusait si solennellement d’ignorance ou d’incurie, il crut de son devoir de répondre et d’opposer la doctrine traditionnelle de son église aux nouveautés que Nestorius venait y prêcher. C’était la guerre dans le sanctuaire même entre l’évêque et ses prêtres, guerre publique où l’on prenait les fidèles pour juges. Un prêtre nommé Proclus fut choisi par ses collègues pour être leur champion dans la lutte et planter en face du novateur le drapeau de la tradition.

Le choix était heureux. Enfant de l’église de Constantinople et pendant plusieurs années attaché à la personne de Chrysostome comme serviteur, Proclus était imbu de ses enseignemens ; on voyait en lui une personnification vivante de cette tradition qu’il était chargé de défendre. Proclus ne connaissait et n’aimait au monde que son église ; c’était pour lui la maison paternelle et la patrie : nommé évêque d’un diocèse de l’Orient, il n’eut pas le courage d’accepter, et voulut rester simple prêtre dans le lieu où il avait vécu près de Chrysostome. Le sort le récompensa de sa fidélité à ce grand homme : monté sur ce même trône épiscopal quelques années après les événemens que nous racontons, il eut l’insigne honneur d’aller réclamer à l’exil et de déposer de ses mains dans la sépulture des archevêques de Constantinople les restes de ce père vénéré.

Proclus choisit une des fêtes de la Vierge, on ne sait pas bien laquelle, pour prononcer son discours. Dès l’exorde, il qualifia Marie de mère de Dieu, et le discours tendait à prouver que ce titre était le seul qui lui convînt, parce qu’en effet c’était Dieu même qu’elle avait mis au monde. S’élevant alors aux plus grandes hauteurs de la théologie, il en descendait par une suite d’argumens à la proposition qu’il voulait démontrer. « Tous les hommes, dit-il, engagés au péché par la chute d’Adam, tombaient nécessairement sous sa condamnation et dans la mort, s’ils n’avaient été rachetés par une victime égale à la grandeur de leur dette. Aucun homme ne pouvait les racheter, puisqu’ils étaient tous coupables et avaient tous besoin d’un sauveur. Aucun ange ne le pouvait, parce qu’il n’eût point trouvé de victime convenable. Il fallait donc que Dieu se livrât à la mort pour nous racheter ; mais Dieu demeurant seulement Dieu ne pouvait mourir. Il a fallu que Dieu se soit fait homme pour sauver les hommes, et qu’il devînt tout ensemble et notre victime, en donnant son sang et son corps à la mort, et notre pontife, pour pouvoir se présenter au père en notre faveur et lui offrir une victime aussi grande que lui-même. Le fils de Marie n’a été ni