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Si Nestorius, comme on le prétend, avait emprunté ses idées à Théodore de Mopsueste, ou il n’avait pas compris le savant théologien, ou il n’avait conservé de ses raisonnemens que la critique de mots faite pour les esprits vulgaires. Théodore sans doute avait d’autres raisons à donner pour attaquer l’interprétation commune du dogme de l’incarnation. Tel qu’on nous le peint, il avait dû s’élever à l’essence même du mystère et, si je puis ainsi parler, à sa philosophie, pour lui trouver une autre formule. Il avait dû aussi s’appuyer dans ses raisonnemens sur l’autorité des pères ou les inductions tirées des livres saints. Nestorius ignorait tout cela, et il ne choisit dans ce bagage que des choses capables de frapper les intelligences communes ; on remarquera d’ailleurs qu’il restait chrétien au fond, car il reconnaissait dans Jésus le Verbe de Dieu, à la différence de Paul de Samosate, qui ne faisait du fils de Marie qu’un grand prophète. Dans la thèse de Nestorius néanmoins, la question importante était de fixer l’époque où le Verbe divin s’était incarné dans Jésus ; puisque ce n’était pas au moment de sa conception ou de sa naissance, quelle période de sa vie choisissait-il ? Il refusa longtemps de s’expliquer sur cette difficulté, et quand il l’eut fait un jour dans une discussion familière, poussé par la chaleur de la controverse, cette réponse le perdit.

Je l’ai dit : il y avait dans sa logomachie de quoi séduire des esprits vulgaires, et c’est ce qui arriva. L’auditoire de Nestorius fut partagé : les uns l’approuvèrent, les autres le condamnèrent. Il faut se reporter aux époques de profonde conviction religieuse pour comprendre quel trouble pouvaient jeter dans des intelligences chrétiennes des discours qui, à propos d’un mot, battaient en brèche toute une croyance traditionnelle. Tout le monde se mit à raisonner, à vouloir sonder dans les limites de son entendement le mystère le plus insondable de la foi chrétienne ; on se disputa partout, dans l’église, dans les maisons, dans les rues. Quatre autres discours que le patriarche ajouta au premier pour l’expliquer, mais qui n’apportaient rien de nouveau en fait de raisonnemens, vinrent alimenter par intervalles l’incandescence des esprits. « Comme il arrive dans les combats de nuit, où chacun frappe au hasard et ne sait qui il blesse ni qui le blesse, ainsi, dit l’historien Socrate, témoin oculaire des événemens, chacun discutait au hasard, parlait tantôt d’une, manière, tantôt d’une autre, affirmait et niait presque en même temps les mêmes choses. » La dispute, vu l’effervescence orientale, ne se bornait pas toujours à des mots : on se battait, et le sang coulait.

Nestorius, qui n’aimait pas l’opposition, réprimandait parfois rudement ceux des fidèles qui concevaient des doutes sur ses idées. « Au fond, leur disait-il, cela ne devrait pas m’étonner, car ce