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sécurité ne devait pas être payé à l’état, comme s’il y avait même une dépense plus utile pour ces capitalistes et ces producteurs, comme si enfin tous les services publics et tous les travaux que le gouvernement accomplit étaient nécessairement et même habituellement improductifs ! N’est-ce pas là une de ces conceptions radicales qu’il faut, en raison du juste respect attaché à certains noms, ne pas craindre de signaler ? Tant de gens en France, même en dehors de toute considération théorique, inclinent à se montrer radicaux de cette manière-là ! Ils ont si peu l’air de se douter que l’impôt est une dette ; ils sont si disposés à n’y voir qu’une soustraction arbitraire ! Les souvenirs de tant d’impôts établis sans justice, extorqués avec violence, y sont assurément pour quelque chose ; n’entre-t-il pas aussi dans leur répugnance instinctive le blâme qu’à tort ou à raison nos habitudes d’opposition jettent sur l’emploi que le gouvernement fait des fonds qui lui sont confiés ? Il y a de tout cela sans doute dans le sentiment qui les domine, mais pour combien on y trouve aussi l’ignorance ou l’irréflexion qui voit ce que l’état prend, non ce qu’il rend ! Il faut laisser là ces radicaux d’instinct qui volontiers aboliraient l’impôt et n’en demanderaient pas moins une bonne police, une bonne administration, une bonne armée, tout ce qu’un gouvernement peut donner, et même qui lui demanderaient encore par-dessus le marché la bienfaisance, l’instruction, le travail, et peut-être encore, qui sait ? la gloire et les conquêtes.

Comme première forme et comme dernière forme aussi de l’idée radicale en matière de taxes, on rencontre l’impôt unique. On peut dire à la lettre que la science a suivi ici une marche identique à celle que suivent les sociétés dans leur développement. Chez les peuples à peine formés, dans l’état rudimentaire où est leur industrie, leur commerce, il n’est pas rare que règne l’impôt unique, la dîme en nature, sous forme de bétail ou de produits agricoles. Dans la fausse idée que la terre seule est productive de valeur, les physiocrates, Turgot comme Quesnay, n’ont reconnu, eux aussi, qu’un impôt vraiment légitime, l’impôt territorial. Où sont allés ces systèmes, qui eurent leur jour d’éclat et d’influence ? L’impôt unique sur la rente foncière compte encore un certain nombre de partisans. Comme ils ont l’air d’en vouloir à la propriété, on leur fait parfois l’honneur de les écouter ; mais l’attention se lasse vite des subtilités d’une thèse qui reste obscure aux yeux de la foule. D’autres ont voulu l’impôt non pas seulement unique, mais uniforme, absolument égal, identiquement le même pour tous les citoyens, la protection de l’état étant, dit-on, la même pour tous. Cette thèse a été réfutée par Mirabeau dans un de ses discours ; M. Thiers, dans son livre sur