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a cru détruire ? On doit avoir sérieusement égard à ces incidences, à ces répercussions, qui trompent le législateur, et qui vont frapper sur la classe qu’il voulait soulager en passant par-dessus la tête de celle qu’il se proposait d’atteindre.

Et pourtant, aussi loin que l’on remonte dans notre histoire, on n’a vu nulle part éclore plus de plans radicaux, de panacées chimériques. Qu’on ne pense pas que cette disposition date de la révolution ; elle n’a fait que l’accroître, comme tous les instincts réformateurs. L’ancien régime parle assez souvent des hommes à projet. Rêver sur les combinaisons de crédit et d’impôt est une disposition naturelle à certains esprits. La finance a ses poètes, et ce qui traduit le même mot sous une forme moins noble et plus positive, ses faiseurs. La réalité ne les gêne pas, ils la repétrissent à leur gré, ils la jettent dans un moule nouveau. Honnêtes rêveurs, que n’a-t-on affaire aujourd’hui à eux seuls !

Ce qu’atteste l’étude du passé, j’en demande pardon à ceux qui prennent l’esprit de système pour une marque de génie, c’est que, si l’on met à part quelques règles de stricte équité et de pur bon sens, toute théorie trop absolue en matière d’impôt n’a été qu’une idée fausse. On est allé d’excès en excès ; l’approbation absolue de l’impôt a eu ses adeptes comme la critique radicale. Il existe même aujourd’hui de ces défenseurs intraitables de l’impôt qui s’imaginent qu’il est toujours un bien, parce qu’après avoir fait vivre les fonctionnaires l’argent circule de nouveau et fait aller le travail et le commerce. On pourrait l’accorder, s’il n’avait fallu commencer par prendre cet argent à ceux qui l’auraient fait fructifier. Que si en outre cette main qui l’a pris ne sait que dissiper, qu’en diront nos optimistes ? On parle de la pluie bienfaisante qui se reverse en profits, en salaires. Des impôts abusifs et mal dépensés, au lieu de cette bienheureuse pluie, ne produiront-ils pas une horrible sécheresse et toute sorte d’autres fléaux ? Après les optimistes sont venus les pessimistes et les satiriques. Que penser de la théorie de l’impôt-spoliation, introduite par J.-B. Say lui-même ? N’était-ce pas un excès opposé à un autre, et qui, entre les mains de théoriciens moins honnêtes, pourrait avoir des conséquences non moins fâcheuses ? À une théorie trop commode aux gouvernemens n’était-ce pas en substituer une autre en opposition avec leurs plus légitimes besoins, et servant de pendant à la doctrine fausse qui voit dans le gouvernement lui-même un ulcère ? Les correctifs que le célèbre économiste a donnés à cette théorie l’ont-ils empêchée de faire école ? Combien d’autres ont répété comme un point de doctrine que tout impôt est une somme dérobée au public et, selon l’expression du maître, une valeur perdue, comme si le prix de la