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exemple, n’auraient jamais imaginé que la Grèce eût rien à redouter du côté du Pinde et de l’Olympe. Isocrate avait grandi, et au moment où il entrait dans l’âge mûr il avait vu Athènes ruinée par ses imprudences et par l’excès de son ambition, accablée par les désastres de Sicile et d’Ægos-Potamos, prise et démantelée, puis condamnée à l’affront d’une cruelle tyrannie que soutenait une garnison étrangère ; il l’avait vue ensuite se relever avec une élasticité et un ressort merveilleux, de manière à grouper bientôt autour d’elle la plupart de ses anciens alliés. Alors donc que, touchant à la vieillesse, il écrivit le panégyrique, il put espérer que l’avenir d’Athènes ne serait point indigne de son passé, il put croire qu’elle ressaisirait bientôt cette hégémonie ou direction des affaires grecques dont Sparte l’avait dépouillée pour se voir à son tour supplantée par Thèbes. De nouvelles fautes vinrent entraver l’essor de cette puissance et de cette prospérité renaissantes ; la guerre sociale brisa la confédération dont Athènes était redevenue le centre. Il avait fallu renoncer aux espérances dont l’orateur s’était fait, devant toute la Grèce, l’éloquent interprète. Alors même l’infatigable vieillard ne s’était pas découragé ; il avait cru qu’Athènes obtiendrait, par son désintéressement et son respect de la justice, ce qu’elle n’avait pu conquérir par la diplomatie et par les armes ; il avait auguré pour elle un temps où, débarrassée des soucis de l’empire, tout entière aux arts de la paix, elle jouirait, au milieu de la Grèce, qu’elle n’inquiéterait plus par ses ambitions, d’une sorte de primauté et de magistrature morale. Ce serait le moment où, réunie dans une même pensée sans être soumise à aucune domination, la Grèce pourrait enfin tourner toutes ses forces contre l’ennemi commun, le roi de Perse, et venger les anciennes injures. Philippe vint troubler ce beau rêve. Au lieu de pénétrer ses desseins, Isocrate, attaché à sa chimère avec une obstination sénile, se mit à compter sur le Macédonien pour la réaliser. Au lieu de pousser son peuple, comme Démosthène, à faire, quoi qu’il dût advenir, son devoir de premier soldat de la liberté grecque, il travailla, sans le vouloir, à le tromper et à l’endormir ; il se fit l’involontaire complice des lâches et des traîtres. Arrivé au terme d’une existence qui avait dépassé la mesure ordinaire, il vit la bataille de Chéronée consommer sans retour l’abaissement d’Athènes et l’asservissement de la Grèce. Quand il apprit cette nouvelle, dans le désespoir auquel il succomba, il devait y avoir non-seulement de la douleur, mais du remords. Isocrate avait, pour sa part, ouvert le chemin à Philippe, il avait contribué à la défaite et à la chute de cette Athènes qu’il avait tant aimée, et qu’il avait connue, dans les beaux jours d’autrefois, si grande et si glorieuse.

Cette longue vie, que l’historien ne peut résumer sans tristesse,