l’instruction militaire et de la discipline donnait la victoire aux Macédoniens ; sur le champ de bataille de Chéronée, mille Athéniens étaient tombés pour ne plus se relever. Le jour même où l’on célébrait les funérailles publiques de ces morts, où Démosthène, au nom de la cité, leur rendait un suprême hommage, on apprit, que le vieil Isocrate venait d’expirer. Il avait plus de quatre-vingt-dix-huit ans.
Cette coïncidence était trop frappante pour ne pas tenter les faiseurs d’anecdotes qui abondèrent à l’époque alexandrine. Plus tard donc on raconta que, ne voulant pas survivre à ce désastre, Isocrate s’était laissé mourir de faim. Ceci nous semble, comme à M. Havet, une pure légende. Ne suffit-il pas, pour abattre le vieillard, d’une si lugubre nouvelle et d’un si rude choc ? La voix avinée de Philippe insultant au milieu des cadavres les prisonniers athéniens n’était-ce pas un assez brutal démenti à toutes ces illusions, à toutes ces espérances qu’avait caressées et accréditées le crédule rhéteur ? Isocrate, malgré toutes ses faiblesses, malgré sa vanité et ses courtes vues, aimait tendrement sa patrie ; on se plaît à le voir, frappé du même coup que sa chère Athènes, défaillir et fermer les yeux à l’heure où, selon l’expression de l’orateur Lycurgue, « la liberté de la Grèce fut ensevelie dans le tombeau des vaincus de Chéronée. » Il avait vécu presque un siècle.
Dans le cours de cette longue existence, que d’hommes et de choses avaient passé devant lui ! Comme le monde grec, au moment où il en sortait, présentait un aspect différent de celui sur lequel s’étaient promenés ses premiers regards ! Dans les heureuses années de son adolescence, Athènes, était la capitale politique d’un grand empire, et en même temps l’ardent foyer où venaient se concentrer toutes les flammes du génie grec et d’où partaient ses plus purs, ses plus étincelans rayons. A côté d’elle, Sparte, Thèbes, Corinthe, Argos, bien d’autres cités, pleines de sève, de virile et guerrière énergie, semblaient promettre à la Grèce un avenir sans fin d’indépendance et d’activité féconde. Quelle menace extérieure, quelle conquête pouvait avoir à craindre cette Grèce, si souple et si résistante tout à la fois, contre laquelle était venu se briser le colossal effort de toute l’Asie conjurée ? Quant à ces peuples à demi barbares qui s’agitaient sur sa frontière septentrionale, Épirotes, Macédoniens et Thraces, ils étaient étrangers à la science du gouvernement et à celle de la guerre, ils étaient incultes, pauvres et grossiers ; les plus habiles de leurs chefs, ceux qui se targuaient de descendre des héros grecs, n’avaient d’autre ambition, lorsque leurs sauvages voisins leur laissaient quelque repos, que de recevoir comme un lointain reflet de la civilisation hellénique.
Les observateurs, même les plus pénétrans, un Thucydide par