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Thermopyles, cette porte de la Grèce centrale, et dépeuplé la Phocide au moment même où il venait de signer la paix avec Athènes. C’est cet instant que choisit Isocrate pour publier, en 346, sous forme d’une harangue ou d’une lettre adressée à Philippe, un manifeste où il expose ses idées sur la situation ; il y rappelle le langage que, depuis l’avènement de Philippe, il n’a cessé de tenir dans le cercle qui l’entoure ; il y parle d’un discours qu’il avait commencé pour conseiller cette paix qui vient de se conclure. Par là, on peut juger du rôle qu’a joué Isocrate à Athènes, pendant le cours de cette grande lutte où devait périr la liberté grecque. Pendant plus de dix ans, il travaille à endormir Athènes ; il contrarie les efforts de ceux qui, comme Hypéride, Lycurgue et Démosthène, voudraient ouvrir les yeux de leurs concitoyens, et les décider à combattre le mal dans son germe, fût-ce même au prix de grands sacrifices. Il vante la générosité et la modération de Philippe, ainsi que son amitié pour Athènes ; il va même jusqu’à soutenir que, s’il fait des conquêtes en Chalcidique et en Thrace, c’est avec l’intention bien arrêtée d’en réserver une part aux Athéniens, de leur offrir des compensations. Le goût du bien-être, l’aversion pour le service militaire, qui se répandaient de plus en plus à Athènes, disposaient les âmes à partager ces illusions ; on avait trop d’intérêt à en croire Isocrate plutôt que Démosthène pour ne pas accueillir volontiers des assurances données avec tant de conviction par un si honnête homme.

C’est ainsi que sans s’en douter Isocrate faisait gratis ce que l’on payait si cher à Eschine et à Démade : il trahissait les intérêts de la Grèce et travaillait à abaisser devant Philippe cette Athènes qu’il aimait tant. Pour récompenser ce naïf complice, dont la candeur devait le faire sourire, il n’en coûtait à Philippe que quelques égards et quelques complaisances. Par les lettres qui nous sont parvenues sous le nom d’Isocrate et dont on admet en général l’authenticité, on voit qu’il y avait une correspondance suivie entre le rhéteur octogénaire et la cour de Pella. Le rusé Macédonien ne refusait aucun. concours et ne décourageait aucune sympathie ; il chargeait donc Pythéas, l’ancien élève d’Isocrate, de répondre, par quelque belle épître écrite dans la langue du maître, aux louanges mêlées de conseils que lui prodiguait Isocrate. Celui-ci ne se sentait pas de joie à ces marques de déférence et de respect dont le comblait un prince victorieux ; il répétait à tous ceux qui l’approchaient que l’on calomniait Philippe, et que, si le roi continuait la guerre, la faute en était à tous ces brouillons d’orateurs qui ne cessaient de l’attaquer et de l’insulter. Cependant Philippe, tout en protestant de son goût pour la paix et de son amitié pour Athènes, avançait toujours. Maître des Thermopyles, allié de Thèbes, il menaçait déjà la