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enfin l’étroite alliance conclue entre Sparte et tous les princes qui menacent l’indépendance républicaine des cités grecques, Denys, le tyran de Syracuse, Amyntas, le roi de Macédoine, et enfin l’ennemi héréditaire du nom grec, le successeur des Darius et des Xercès.

Après avoir dressé cet acte d’accusation, Isocrate s’arrête : il proteste que ces paroles n’ont pas pour but, toutes vives et passionnées qu’elles soient, de diviser encore plus profondément la Grèce : au contraire ce qu’il veut prouver, c’est la nécessité d’une réconciliation sincère et durable entre les deux cités grecques, réconciliation dont les barbares paieront les frais. Il ne demande point la ruine de Sparte, membre nécessaire du grand corps hellénique ; mais il s’efforce de persuader aux Grecs, aux Spartiates eux-mêmes que Sparte n’était point à la hauteur du rôle qu’elle avait aspiré à jouer depuis les désastres d’Athènes. Athènes a été battue, humiliée, condamnée pour longtemps à l’impuissance ou tout au moins à la modestie d’un rôle secondaire, au recueillement et à l’attente ; mais elle n’a pas été remplacée. Sparte ne lui a pas succédé comme protectrice des faibles, comme gardienne des mers, comme tutrice de la liberté grecque, menacée par l’énorme et confuse barbarie. La Grèce a perdu plus encore qu’Athènes elle-même à la chute de l’empire maritime qu’avaient constitué Aristide, Cimon et Périclès ; elle en est comme toute désorientée. Il s’est fait dans le monde hellénique un vide que Sparte, avec son génie dur et borné, n’a pas su, ne saura jamais combler. Sparte n’est pas généreuse ; or sans générosité on peut remporter de grandes victoires, l’on peut écraser ses ennemis, mais on ne conquiert point ce prestige, cet ascendant moral dont ne se passera jamais impunément quiconque prétend non-seulement saisir le premier rang par un coup de fortune, mais s’y maintenir et le garder longtemps.

Dans toute la dernière partie du discours, Isocrate s’attache à démontrer aux Grecs que, s’ils veulent s’unir tous dans un commun et vigoureux effort, c’en est fait de l’empire des Perses ; il insiste sur tout ce qu’il y a de faiblesse cachée sous ces apparences de richesse, de grandeur et de puissance. Sans remonter aux guerres médiques, la génération à laquelle appartient l’orateur n’a-t-elle pas vu les dix mille traverser en vainqueurs tout l’empire, puis bientôt après Thymbron, Dercyllidas et Agésilas, avec une faible armée, être sur le point d’arracher au grand roi toute l’Asie en-deçà de l’Halys ? Ce sont les discordes des Grecs qui ont forcé Agésilas à évacuer les provinces conquises. Plus récemment encore, les insurgés égyptiens, et dans l’île de Chypre Évagoras, n’ont-ils pas tenu, ne tiennent-ils pas en échec depuis plusieurs années toutes les forces de la Perse et ses meilleurs généraux ? La conclusion,