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ni le caractère. Les Grecs ont accrédité bien des erreurs sur le compte de la civilisation égyptienne ; aucun de ceux qui ont essayé de la décrire n’en a parlé d’une manière aussi vague et aussi fausse. Vrai rhéteur, Isocrate était dépourvu de cette curiosité passionnée, éprise du détail exact et précis, qui fait l’historien ; aussi ceux de ses disciples, comme Éphore et Théopompe, qui écrivirent l’histoire, n’y cherchèrent-ils guère qu’un prétexte à de brillantes amplifications et à des harangues qu’ils croyaient éloquentes. Ce fut là ce qui les rendit si inférieurs non-seulement à des hommes de génie, comme Hérodote et Thucydide, mais même à un esprit de second ordre, comme l’auteur des Helléniques, Xénophon. Le sens historique n’a point de pire ennemi que le goût de la phrase, la superstition de la forme oratoire.


III

Isocrate, grâce au succès de son enseignement, était arrivé à une aisance qui le rendait indépendant, — à une réputation qu’il pouvait prendre pour de la gloire. C’est alors qu’il s’essaie à un rôle nouveau auquel il aspirait depuis longtemps. Ce n’était pas sans une secrète et profonde douleur que, se sentant du talent et des idées, il avait renoncé au désir et à l’espoir d’agir par la parole sur l’esprit de ses concitoyens, sur les affaires d’Athènes et de la Grèce. « Je prends dix mines, lui entendait-on dire, pour enseigner mon art ; mais j’en paierais volontiers dix mille à qui me donnerait l’audace et la voix. » Au terme de sa vie, âgé de près de cent ans, il éprouvait encore ce regret, il souffrait de cette impuissance. Il lui avait été, il lui était encore pénible de voir écoutés sur le Pnyx et devant les tribunaux des hommes auxquels il se croyait très supérieur par l’éducation et le mérite. Tout au moins, quand vers l’âge de cinquante ans, connu et admiré dans tout le monde hellénique, il put être sûr d’avoir de nombreux lecteurs, il voulut arriver par un autre chemin à cette influence qu’il n’avait pu demander à la tribune. Il se fit écrivain politique, ou, comme nous dirions, publiciste ; il offrit ses conseils aux peuples et aux rois. Profitant des loisirs que lui assurait sa fortune, il composa des discours longuement médités et travaillés avec le plus grand soin, où il donnait son avis sur chacune des questions qui intéressaient la Grèce et surtout Athènes.

De tous ces discours, qui forment la partie principale de l’œuvre d’Isocrate, le plus célèbre est celui qui est connu chez nous sous le titre fort inexact de Panégyrique d’Athènes : c’est le Panégyrique que l’on devrait dire. En effet, ce mot, dans le grec classique, n’a point encore le sens qu’il a pris en français ; il désigne les discours