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En tout cas, les plus zélés prenaient des notes : c’est ce que prouve un curieux passage de Plutarque. Selon lui, « Démosthène aurait eu secrètement communication, par Callias de Syracuse et par d’autres, des préceptes d’Isocrate sur la rhétorique et de ceux du rhéteur Alcidamas ; il en aurait tiré grand profit. » On dirait aujourd’hui qu’il avait emprunté les cahiers d’un élève d’Isocrate. Ceci prouverait qu’Isocrate et les autres professeurs de rhétorique ne publiaient point, au moins tant qu’ils continuaient à enseigner, le manuel qui faisait le texte et le fond de leur cours. Si l’ouvrage avait été entre les mains de tout le monde, on n’aurait pas eu autant d’intérêt à suivre et à payer les leçons du maître.

Isocrate ne nous dit nulle part si, comme les rhéteurs latins, comme les Sénèque et les Quintilien, il exerçait ses élèves à la composition, s’il leur proposait un sujet et corrigeait ensuite leurs essais. En tout cas, comme on le voit d’après le Panathénaïque, il leur lisait ses discours avant de les publier, il en discutait avec eux le plan et les idées, il leur en faisait valoir les beautés. C’est peut-être pour servir ainsi de modèles qu’ont été composés des ouvrages comme l’Eloge d’Hélène et le Busiris. Par leur caractère tout sophistique, ces discours sortent tout à fait du programme qu’Isocrate ; au début du Panathénaïque, dit s’être tracé tout jeune à lui-même ; ils ne touchent en rien « ni au bien de la cité, ni aux intérêts communs de toute la Grèce, » ils rentrent au contraire dans un genre qu’il affecte de mépriser, celui de « ces discours pleins de fables, de prodiges et de mensonges, qui font plus de plaisir au vulgaire que les plus salutaires conseils. » Cette infraction aux règles qu’il avait lui-même posées, cette excursion sur le terrain des sophistes s’explique par une préoccupation didactique qui se rencontre ici avec un petit calcul de vanité. L’un et l’autre de ces sujets avaient déjà été traités avant lui ; en les reprenant à nouveau, il a voulu montrer, dit-il, que ses devanciers n’avaient pas tiré de ces thèmes tout le parti possible. Il obtient ainsi un double résultat : ses élèves s’instruiront en comparant l’ébauche informe à ce qu’il leur donne comme un chef-d’œuvre, et les gens de goût auront une occasion de plus d’apprécier le génie d’Isocrate. Quant à nous, quelque bonne volonté que nous y mettions, il nous est difficile d’admirer. Encore y a-t-il dans l’Eloge d’Hélène, une fois le sujet admis, au moins une page d’un sentiment vraiment grec, vraiment attique, qui se lit avec plaisir ; mais il est impossible de rien imaginer de plus froid et de plus insipide que le Busiris. Tout l’ouvrage porte sur cette idée singulière, que ce personnage, connu de la légende seulement pour sa cruauté, est le véritable fondateur des institutions égyptiennes. Ces institutions, Isocrate les célèbre à ce propos de manière à montrer qu’il n’en soupçonne ni l’origine