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il s’écria : « Empereur, donne-moi une terre purgée d’hérétiques, et je te donnerai le ciel ; combats avec moi l’impiété, et je te livrerai les Perses vaincus ! » Cette apostrophe hautaine parut assez étrange dans le nouvel arrivé pour que l’histoire nous en ait conservé les termes. Tels étaient ces parvenus de l’éloquence dans les hauts rangs de l’épiscopat : pour faire oublier leur subite fortune, ils repoussaient la main qui les avait élevés ; ils se posaient en maîtres pour ne point sembler valets, et en ingrats pour faire éclater leur indépendance. Chrysostome ne s’était pas assez garanti de ce travers de popularité, que justifièrent d’ailleurs la tyrannie d’Eutrope et les déportemens d’Eudoxie, et il persista dans ce rôle d’opposant jusqu’à sa mort : Nestorius n’avait pas l’étoffe d’un martyr ; il fit sa paix dès le lendemain. Il hanta le palais, devint courtisan, rechercha les honneurs, le luxe, et se glissa rapidement dans la confiance de Théodose, qu’il feignit de prendre pour un grand théologien. Théodose de son côté crut comprendre quelque chose aux subtilités dont l’entretenait l’archevêque, et il se forma entre eux une sorte de compromis théologique. Nestorius plut aussi à l’impératrice Eudocie, à laquelle il rappelait en plus d’un point les rhéteurs et les sophistes qui avaient charmé son enfance ; mais la sévère Pulchérie ne l’observait pas sans inquiétude, et elle attendit à le mieux connaître avant de l’aimer ou de le haïr.

L’apostrophe de Nestorius à l’empereur était l’annonce d’une persécution qu’il se proposait d’ouvrir immédiatement contre les communions hétérodoxes tolérées par ses prédécesseurs et par le grand Théodose lui-même dans la ville ou du moins dans la banlieue de Constantinople. Il commença par les ariens, qui possédaient en vertu d’un arrangement convenu entre Arcadius et le chef des Goths fédérés, Gaïnas, une chapelle, située hors des portes, où ils célébraient leurs offices et tenaient leurs assemblées. Nestorius la ferma de sa pleine autorité. Les ariens voulurent se défendre, on se battit, et les sectaires, chassés de leur temple, y mirent le feu. L’incendie, se propageant dans la ville, en brûla tout un quartier. Après les ariens, ce furent d’autres hérétiques contre lesquels l’archevêque entreprit la guerre ; il obtint à leur sujet de nouvelles lois de persécution ou le renouvellement des anciennes tombées en désuétude. L’exil, la confiscation, l’emprisonnement, la perte des droits civils, la surveillance inquisitoriale, furent appliqués à des communautés nombreuses que la loi semblait avoir oubliées depuis un demi-siècle. Les eunomiens, les valentiniens, les montanistes, les messaliens, les marcionites et d’autres encore furent enveloppés dans la proscription ; il n’y eut pas jusqu’à la secte innocente des quarto-décimans, dont tout le crime était de célébrer la pâque le quatorzième jour de la lune à l’instar des Juifs, qui ne fussent victimes