travaux d’Isocrate. Rien de plus naturel au contraire dans l’hypothèse que nous admettons : au moment où les amis de Socrate, d’abord atterrés du coup qui les avait atteints et dispersés dans toute la Grèce, commencèrent à reprendre courage et à relever leur drapeau, Platon se chargea de parler au nom de tous ceux qui étaient restés fidèles à la mémoire du sage ; il exprima leurs sentimens en accordant ce magnifique éloge à celui d’entre eux dont les vêtemens de deuil, au lendemain même de ce meurtre judiciaire, avaient pu comme une muette protestation frapper les yeux de tous les Athéniens sur cette place publique où trônaient et péroraient encore les accusateurs de Socrate, Anytus, Mélitus et Lycon. On pourrait avoir plus de doutes sur l’autre anecdote que rapporte le même écrivain ; d’après lui, quand Critias, au mépris de toute légalité, fit saisir en pleine séance du sénat un de ses collègues du gouvernement, Théramène, une seule voix s’éleva pour résister à cet abus de pouvoir, et ce fut celle d’Isocrate, un des membres de ce corps dont la majorité partageait au fond de l’âme les opinions et les désirs de celui que l’on entraînait à la mort. Ce serait sur les instances de Théramène lui-même qu’Isocrate se serait rassis, aurait renoncé à une opposition qui ne pouvait que le perdre sans sauver le malheureux qu’il était seul à défendre. Ce qui rend ce récit suspect, ce n’est point seulement que nous n’en voyons nulle part aucune confirmation directe ou indirecte, c’est aussi qu’il nous paraît presque calqué sur le précédent. Isocrate avait étudié la rhétorique sous Théramène comme la philosophie auprès de Socrate ; on aurait trouvé naturel qu’il protestât contre la lâcheté du sénat qui laissa périr Théramène aussi bien que contre le verdict du jury qui frappa Socrate. Enfin Xénophon, qui raconte avec beaucoup de détails et de vivacité la séance où Critias fit arrêter Théramène, ne nous dit pas un mot du rôle que le biographe y prête à Isocrate : il y a là bien des raisons de suspendre notre jugement.
Quoi qu’il en soit, ce seul trait de courage nous suffit pour comprendre de quelle nature était cette timidité qui fut le chagrin de la vie d’Isocrate. Il avait, à ce qu’il semble, tout ce qu’il fallait pour parler au Pnyx et devant les tribunaux, pour jouer un rôle politique. La fortune de son père lui avait permis d’acquérir tout à loisir cette instruction pratique par laquelle les ambitieux se préparaient aux discussions oratoires ; il avait fréquenté les sophistes, les rhéteurs, les philosophes ; la rhétorique et la dialectique n’avaient plus pour lui de secrets, et certains plaidoyers composés pour des particuliers dans les premières années qui suivirent le rétablissement de la démocratie, vers la fin du Ve siècle, avaient déjà pu révéler aux connaisseurs ses rares talens. Dans ces premiers