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j’insiste un peu sur ce séjour, parce qu’il eut une influence marquée dans la destinée du futur patriarche.

Mopsueste avait pour évêque un personnage alors célèbre, mais que l’histoire ne nous montre qu’à travers un demi-jour mystérieux ; il se nommait Théodore, et était déjà avancé dans la vieillesse, aveugle ou presque aveugle. Au cœur le plus droit, le plus généreux, à une honnêteté devant laquelle ses ennemis même s’inclinaient, Théodore joignait un esprit original et un caractère indépendant. Ami constant des persécutés, il embrassait parfois à ce titre la cause d’idées repoussées par le plus grand nombre sans une raison suffisante ; les opinions communes, les croyances vulgaires, le révoltaient instinctivement. Il avait, si j’ose ainsi parler, le tempérament de l’hérésie sans en avoir l’orgueil ; la vanité de ses opinions lui manquait, et son besoin d’examen s’arrêtait toujours aux limites que lui traçaient un désir sincère de vérité et une foi fondée sur le savoir. Il était hardi cependant, et on était excusable de le juger tel ; mais l’honnêteté de l’homme absolvait les hardiesses du théologien. Malgré des dissidences partielles de doctrines, les hommes les plus orthodoxes de l’Orient le respectaient et l’aimaient ; Chrysostome avait conservé pour lui jusqu’à la mort une affection que Théodore lui-même lui rendait par un dévoûment presque religieux. L’évêque de Mopsueste connaissait de longue main Nestorius, originaire des contrées de l’Euphrate, et, le voyant élevé au premier siège de la chrétienté orientale, il lui parlait à cœur ouvert de ses propres opinions et du désir qu’il avait de les voir admises par les hommes distingués de l’épiscopat. Leur conversation roula sur le mystère de l’incarnation : nous ne savons pas ce qu’ils se dirent, mais la suite montra quel effet ses paroles avaient produit sur les voyageurs, car Nestorius n’était pas seul ; il amenait d’Antioche avec lui quelques clercs attachés à sa personne, entre autres le prêtre Anastase, qu’il avait pris pour syncèle. On appelait de ce nom dans les premiers siècles de l’église le secrétaire d’un évêque, son conseiller obligé et le confident de ses doctrines en même temps que de ses actions. Le syncèle logeait au palais épiscopal pour que l’évêque eût toujours un surveillant à sa porte ; quelques conciles voulurent même qu’il couchât dans sa chambre ou dans une chambre voisine, afin d’enlever tout prétexte aux calomnies ou aux soupçons qu’on pourrait élever contre lui.

L’intronisation du nouveau patriarche eut lieu le 10 avril 428 dans la grande basilique de Constantinople, en présence de l’empereur, de l’impératrice, du sénat et d’un peuple immense, curieux de l’entendre et de le voir. Il paya sa bienvenue par un discours d’apparat fort applaudi de la foule, mais qui ne laissa pas d’étonner la partie éclairée de son auditoire lorsque, s’adressant à l’empereur,