Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Orient. Sisinnius était un vieillard impotent, maladif, peu soucieux des affaires de son église, et qui n’avait rien préparé pour faciliter sa succession. Aussi le plus grand désarroi régna partout quand il eut fermé les yeux. Des divisions et des brigues se formèrent : un clergé corrompu, des prétendans corrupteurs, de l’or versé à pleines mains, des candidatures éhontées, firent présager aux gens de bien une élection plus honteuse encore. Théodose et sa sœur, qui participait toujours aux affaires, principalement quand un intérêt religieux se présentait, furent effrayés d’un résultat que tout leur annonçait certain, et ils songèrent à le prévenir en choisissant eux-mêmes un évêque ailleurs. C’était faire ce que nous appellerions dans le langage moderne un coup d’état, car l’élection épiscopale avait ses lois canoniques, ses règlemens et ses coutumes civiles. Toutefois ils se dirent qu’entre ces deux maux, avoir un mauvais évêque élu canoniquement ou un bon évêque nommé en dehors des règles, le dernier était encore préférable. Ils se rappelaient aussi que, dans une circonstance pareille, leur père Arcadius avait fait enlever d’Antioche Jean Chrysostome pour en faire son évêque, et involontairement ils tournèrent les yeux de ce côté. Antioche avait en ce moment même parmi ses simples prêtres un orateur dont tout le monde vantait l’éloquence, et qu’on venait entendre de toutes les parties de l’Orient ; les deux souverains jetèrent leur dévolu sur lui, et Théodose lui demanda de se rendre le plus tôt possible dans la ville impériale pour y recevoir le siège épiscopal vacant. Ce prêtre, c’était Nestorius.

Nestorius était Syrien, de cette partie de la Syrie que l’Euphrate traverse et qui avait le singulier privilège de fournir à l’Orient un grand nombre d’hérésiarques, soit que l’aspect d’une nature sauvage et triste y portât l’esprit vers les rêveries de la contemplation, soit que le voisinage de l’Arabie, de la Chaldée et de la Perse y introduisît des idées qui influençaient et altéraient la foi chrétienne. Il avait pris naissance dans la petite ville de Germanicia, appelée plus correctement Césaréa Germanica en souvenir du grand Germanicus, qui avait gouverné la Syrie. Sa famille était obscure, et même d’assez bas étage pour que son adversaire Cyrille osât lui dire, par une de ces aménités théologiques dont la polémique du temps ne se faisait pas faute, qu’il sortait de la boue et que son origine était honteuse. Pour échapper aux misères d’une telle condition, Nestorius s’expatria de bonne heure, courut l’Orient, et vint se fixer à Antioche, où il se mit à étudier. Il fréquenta ces écoles fameuses appelées à donner au monde des rhéteurs païens ou des orateurs chrétiens, suivant que les disciples étaient ou non baptisés : Nestorius, baptisé dans son enfance, en sortit orateur chrétien. Il passait d’ailleurs pour un des produits les plus brillans de ce gymnase, qu’avait