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de notre crédit obligèrent le gouvernement à demander à l’étranger, c’est-à-dire dans des conditions plus onéreuses, les traites qu’il se serait procurées en plus grand nombre sur notre propre marché, si les opérations d’échange international avaient suivi le mouvement de reprise qui s’était manifesté très énergiquement au lendemain de la signature de la paix. Quoi qu’il en soit, on se trouvait à la fin d’août dans cette situation : les Allemands n’allaient plus occuper que douze départemens, et d’après le traité le paiement du quatrième demi-milliard pouvait amener l’évacuation de six départemens, de telle sorte que le drapeau des Allemands ne flottât plus que dans les territoires de l’est, condamnés à servir de gage jusqu’à la fin pour le paiement des trois derniers milliards de l’indemnité de guerre. Certes c’était là un résultat considérable. Si, au mois de mai, en l’état où se trouvait la France, quelqu’un eût prédit que trois mois plus tard le gouvernement aurait payé 1 milliard 500 millions et libéré la moitié du territoire foulé par les armées ennemies, il aurait rencontré beaucoup d’incrédules. Cependant, pour être restreint à une moindre superficie, le fléau de l’occupation n’en était pas moins douloureux. Puisque l’on ne pouvait songer encore à l’évacuation complète, il fallait s’attacher à ne conserver que le minimum d’Allemands prescrit par le traité, en hâtant par tous les efforts le paiement du quatrième demi-milliard.

Il est superflu d’insister sur les douleurs poignantes de l’occupation ; toute âme patriote en est pénétrée et accablée. Cette seule pensée, à plus forte raison la vue de ces soldats étrangers qui sont là, chez nous, à notre foyer, qui sont nos gardiens en quelque sorte, est à la fois un désespoir, une ruine et une humiliation. On préférerait l’invasion violente avec les périls et les émotions de la guerre à cette occupation méthodique, disciplinée, — qui se continue en pleine paix, et qui fait survivre au combat l’image de la défaite ; mais ce n’est pas tout, quoique ce soit déjà trop. Comment éviter les incidens et les conflits que doit provoquer cette cohabitation antipathique du vainqueur et du vaincu ? Comment contenir ici l’irritation, là les exigences ? Il suffit que dans l’armée la mieux disciplinée il se rencontre un officier hautain ou un soldat brutal, il suffit que dans la population la plus sensée et la plus résignée il y ait quelques exaltés, pour que les querelles surviennent, querelles ardentes et périlleuses qui, échappant à l’application du droit, ne se règlent trop souvent que par la raison du plus fort. De là des débats qui de degrés en degrés s’élèvent jusqu’aux gouvernemens et exercent l’influence la plus fâcheuse sur leurs relations. Il est à supposer que plus d’une fois ces conflits locaux, dont la presse rendue presque muette dans les pays occupés ne nous a révélé que