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retrouver quelques traces dans les honnêtes populations du midi de l’Allemagne ; son ombre peut subsister obscurément dans quelque coin de la Souabe ou de la Bavière, avec les regrets de l’autonomie perdue, des petites cours dispersées, des princes médiatisés, peut- être même des Gretchen disparues. Toutefois cette Allemagne tend de plus en plus à s’effacer ; elle rentre dans les limbes du passé. Une autre lui succède, active, robuste, formidable : l’Allemagne de l’intelligence et de la force. C’est bien celle-là que Hegel appelait de tous ses vœux et dont il célébrait d’avance la venue dans ses apothéoses de la victoire. Certes c’est une race puissante qui se révèle à nous. Irons-nous jusqu’à dire avec Hegel que c’est une grande nation ? Je ne puis m’y résoudre. Il me paraît que quelque chose lui manque pour cela. Il y faudrait joindre ce que Mme de Staël louait si fort dans cette race avec un à-propos contestable : l’instinct de la justice, la conscience du droit. Hegel et Heine n’ont omis que ce trait dans le dessin qu’ils ont tracé de la grande idée ; il avait son importance pourtant.

La force ! oui sans doute, c’est un élément de la grandeur d’un peuple. L’intelligence en est un autre ; mais toute seule avec la force, elle ne suffit pas encore : elle multiplie la force à l’infini, elle n’en change pas l’essence, elle n’y ajoute rien dans l’ordre moral. C’est le sentiment du juste, c’est le respect du droit qui seul consacre le caractère d’un peuple, et met le dernier trait à sa grandeur.

E. Caro.