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chemins de fer (Chicago ne compte pas moins de douze gares mises en rapport avec quarante lignes ferrées) sont reçus dans d’immenses édifices en briques rouges, dont l’un peut contenir jusqu’à 500,000 hectolitres de blé, et s’emplir ou se vider en trois ou quatre jours. La capacité des autres varie de 2 à 300,000 hectolitres, il y en a une vingtaine ; on les appelle, dans la langue du pays, des elevators, parce que le grain y est reçu, élevé, vanné, nettoyé, dans des monte-charge, ou élévateurs mus par la vapeur. Ces immenses établissemens sont, à proprement parler, des greniers mécaniques. Le blé, le maïs, arrivent d’un côté par le lac et sont déversés de l’autre sur le wagon du chemin de fer, ou réciproquement. Le grain, à l’arrivée, est classé par des experts officiels dans une des quatre catégories adoptées par le commerce local. On donne à l’expéditeur un reçu qui devient un véritable warrant négociable, et tout est dit ; il ne voit plus son grain. Sur le papier, la qualité, la quantité sont indiquées, le cours du jour est connu, cela suffit. C’est dans une salle de la Bourse, où est situé aussi le board of trade, que se publie chaque jour à midi le prix des grains sur les principales places du globe* notamment celle de Londres. Par suite de la différence des longitudes, il est précisément midi à Chicago au moment où l’on y proclame le cours des céréales à Londres à l’heure de midi du même jour.

Parlerons-nous maintenant de ce vaste parc à bestiaux, qui est aux environs de la ville, et où passent chaque année 2 millions de têtes de porcs et 1 million de bêtes à cornes : bœufs, moutons, etc. ? Les animaux y sont reçus, visités, soignés, abreuvés, nourris avant d’aller à l’abattoir. A côté des étables il y a un hôtel splendide avec toutes ses dépendances, bureau postal et télégraphique, et, tout autour du parc, le chemin de fer qui amène jusqu’au-devant des crèches les bœufs, les porcs ou les moutons. Et tant est grand l’accroissement du prix des terrains dans ce pays favorisé, que l’on parle déjà de vendre au prix du mètre carré superficiel les 150 hectares que couvre le parc, et d’aller rebâtir celui-ci plus loin avec profit. A Chicago, le prix d’un terrain à bâtir décuple quelquefois en deux ou trois ans.

Chicago est pour le bétail ce qu’il est pour les grains, le plus grand marché de l’Amérique. Les boucheries, où les bœufs et les porcs sont étouffés, découpés, fumés, salés, mériteraient d’être décrites : les hommes sont là, le couteau du sacrificateur à la main, les manches retroussées, ayant du sang jusqu’aux épaules. Les animaux arrivent à la file par un » couloir, tombent par une trappe dans une chaudière d’eau bouillante, sont saisis, ouverts, dépouillés, découpés, séparés par des appareils spéciaux. On pend les jambons, les côtes, les têtes, à de longues lignes de crochets ; on sépare le lard, la peau, les soies, et tout cela partie mécaniquement, partie à la main. Le sol, couvert de sciure de bois, est