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au succès à perpétuité pour vivre, parce que dans ce cas le succès est la seule légitimité, la seule raison d’être. Si on échoue et surtout si on disparaît dans une de ces catastrophes qui ne laissent pas même l’honneur, ce qu’il y a de mieux, c’est de se faire oublier et de n’avoir pas tout au moins la jactance de l’incapacité mal résignée. Puisque vous n’avez eu ni l’habileté ni le succès définitif dans le pouvoir, ayez du moins la dignité du silence dans votre chute, et ne nous faites pas souvenir que les malheurs d’une famille, qui n’est pas même sous le coup de la loi de proscription qu’elle a fait subir à d’autres, que ces malheurs ne sont rien auprès des malheurs d’une nation, qu’ils n’ont droit au respect que s’ils commencent par se respecter eux-mêmes. Qu’on cesse d’offrir ce spectacle de vieux fauteurs d’absolutisme se servant de la liberté qu’on ne leur dispute pas pour assaillir de faux bruits et de récriminations un pouvoir qui s’est proclamé lui-même l’administrateur de l’infortune publique.

Convenez que c’est quelquefois irritant de voir les vieux praticiens de tous les genres d’arbitraire accuser les autres de manquer aux lois, de confisquer les droits du peuple parce qu’on ne laisse pas au prince Napoléon la faculté de transformer en piédestal césarien la modeste tribune du conseil-général de la Corse. Le gouvernement l’a dit l’autre jour assez rudement, mais justement, à propos de toutes ces polémiques de l’impérialisme rentrant en scène : « les hommes qui ont précipité la France dans un abîme de malheurs et qui, s’ils avaient quelque dignité, devraient se taire, — s’ils avaient quelque patriotisme, devraient être heureux qu’on réparât leurs fautes, auront beau calomnier, ils ne tromperont pas le pays, et ne lui feront pas oublier que c’est à l’empire que la France doit sa douloureuse situation… » C’est là vraiment la moralité de cette campagne bonapartiste organisée sous cet étrange prétexte, que, tout étant provisoire, l’empire a l’incontestable droit de réclamer la confiance du peuple français, et de travailler de son mieux à remplacer encore une fois la république représentée par l’assemblée et par le gouvernement.

Singulière situation, il faut l’avouer, et où la raison du pays n’est pas de trop pour venir en aide au bon sens, à la fermeté prévoyante et libérale d’un gouvernement placé entre toutes les prétentions contraires des partis. Le bonapartisme crie de son côté, le radicalisme à son tour crie d’un autre côté, et, si au premier abord il y a une certaine différence entre ces deux camps d’opposition, il y a au moins un point commun, l’hostilité contre ce qui existe. Ce que veulent, ce que poursuivent les bonapartistes en s’efforçant de décrier le gouvernement dans tout ce qu’il pense, dans tout ce qu’il fait ou dans ce qu’il ne fait pas, on le sait de reste. Que veulent les radicaux de leur côté, et au fond qu’est-ce que le radicalisme tel qu’il se produit aujourd’hui ? C’est ici que commence le mystère. Bien entendu, le radicalisme est tout d’abord convaincu que la